• CONTE - Anguillette page 5

    Le prince de l'île Paisible conduisit Hébé dans une grotte extrêmement ornée, et embellie de jets d'eau merveilleux. Le fond de la grotte était obscur ; il y avait un grand nombre de niches remplies de statues, qui représentaient des nymphes et des bergers, mais on les distinguait peu. Dès que la princesse eut été quelques moments dans la grotte, elle entendit un bruit agréable d'instruments ; une illumination fort brillante, qui parut tout d'un coup, fit voir à la princesse qu'une partie des statues formait ce concert ; et les autres vinrent danser devant elle un ballet très galant et très bien entendu. Il fut mêlé de chansons tendres et agréables. On avait ainsi fait placer tous les acteurs de ce divertissement au fond de la grotte, pour surprendre plus agréablement la princesse. Après le ballet, des sauvages vinrent servir une superbe collation sous un berceau de jasmins et de fleurs d'oranges.

    La fête venait de finir, quand tout d'un coup la fée Anguillette parut en l'air, sur un char attelé de quatre cygnes. Elle descendit, et annonça au prince de l'île Paisible un bonheur charmant, en lui apprenant qu'elle voulait qu'il devînt l'époux d'Hébé, et que cette belle princesse lui avait promis d'y consentir. Le prince, transporté de joie, douta d'abord à qui il devait ses premiers remerciements, d'Hébé ou d'Anguillette ; et quoique la joie ne fasse pas dire des choses aussi touchantes que la douleur, il s'en acquitta pourtant avec beaucoup d'esprit et de grâce. La fée voulut bien ne plus quitter le prince et la princesse jusqu'au jour destiné pour leur mariage. Ce devait être dans trois jours ; elle fit des présents superbes à la belle Hébé et au prince de l'île Paisible ; et enfin, le jour qu'elle avait marqué, ils se rendirent, suivis de toute la cour et d'un nombre infini des habitants de cette île, dans le temple de l'hymen.

    Il n'était formé que de branches d'oliviers et de palmes entrelacées ensemble, et qui par le pouvoir de la fée ne se flétrissaient jamais. L'hymen y était représenté par une statue de marbre blanc, couronnée de roses ; il était élevé sur un autel orné seulement de fleurs, et appuyé sur un petit Amour d'une beauté charmante, qui avec un air riant lui présentait une couronne de myrte. Anguillette, qui avait bâti ce temple, voulut que tout y fût simple, pour marquer que l'amour seul pourrait rendre l'hymen heureux. La difficulté n'est que de les unir ensemble ; comme c'est un miracle digne d'une fée, elle les avait joints pour toujours dans l'île Paisible ; et contre la coutume des autres royaumes, on y pouvait être époux, amoureux et constant.

    Dans ce temple de l'hymen, la belle Hébé, conduite par Anguillette, donna sa foi au prince de l'île Paisible, et reçut la sienne avec plaisir. Elle n'avait pas pour lui ce penchant involontaire qu'elle avait senti pour Atimir ; mais son cœur, pour lors exempt de passion, recevait cet époux par l'ordre de la fée, comme un prince digne d'elle par sa personne, et encore plus par son amour. Cet hymen fut célébré par mille fêtes galantes, et Hébé se trouva heureuse avec un prince qui l'adorait.

    Cependant le roi, père d'Hébé, avait reçu des ambassadeurs de la part d'Atimir : il lui demandait la permission d'épouser Ilérie ; le roi, père d'Atimir, était mort ; il était maître absolu dans son royaume, on lui accorda avec joie cette princesse qu'il avait enlevée. Après ce mariage, la reine Ilérie demanda au roi son père et à la reine sa mère, par de nouveaux ambassadeurs, de venir elle-même à leur cour, les prier de lui pardonner une faute que l'amour lui avait fait faire, et que le mérite d'Atimir devait excuser. Le roi le lui permit, et Atimir y vint avec elle ; mille plaisirs marquèrent le jour de leur arrivée. Peu après, la belle Hébé et son charmant époux envoyèrent aussi des ambassadeurs au roi et à la reine, pour leur faire part de la nouvelle de leur mariage ; Anguillette les avait déjà prévenus, mais ils n'en furent pas reçus avec moins de plaisir et de magnificence. Atimir était chez le roi, quand ils s'y présentèrent pour la première fois ; l'aimable idée d'Hébé ne pouvait jamais s'effacer absolument d'un cœur où elle avait régné avec tant d'empire ; Atimir soupira malgré lui au récit du bonheur du prince de l'île Paisible ; il accusa même Hébé d'être inconstante, sans penser combien il lui avait donné de raisons de le devenir.

    Les ambassadeurs du prince de l'île Paisible s'en retournèrent, comblés d'honneurs et de présents ; ils apprirent à leur prince et à leur princesse combien le roi et la reine avaient témoigné de joie de leur heureux mariage. Mais, ô récit trop sincère ! ils dirent à Hébé que la princesse Ilérie et Atimir étaient à la cour. Ces noms si dangereux pour son repos lui redonnèrent de l'inquiétude ; elle était heureuse, mais les mortels peuvent-ils conserver un bonheur constant ?

    Elle ne put résister à l'impatience qu'elle sentit de retourner à la cour du roi son père ; ce n'était, disait-elle, que pour le revoir, et la reine sa mère ; elle le croyait même ; et combien de fois, quand on aime, se trompe-t-on sur ses propres sentiments ! Malgré les menaces de la fée pour l'obliger à fuir les lieux où elle pourrait revoir Atimir, elle proposa ce voyage au prince de l'île Paisible. D'abord il le refusa ; Anguillette lui avait défendu de laisser sortir Hébé de son royaume. Elle continua de le prier ; il l'adorait, il ignorait la passion qu'elle avait eue pour Atimir ; peut-on refuser quelque chose à ce qu'on aime ? Il crut plaire à la belle Hébé par son aveugle complaisance : il donna ses ordres pour son départ ; et jamais on n'a vu tant de magnificence que celle qui parut dans son équipage' et sur ses vaisseaux. La sage Anguillette, indignée du peu de respect qu'Hébé et le prince de l'île Paisible avaient pour ses ordres, les abandonna à leur destinée, et ne parut point leur donner de ses sages conseils, dont ils avaient si peu profité.

    Le prince et la princesse s'embarquèrent ; et après une navigation fort heureuse, ils arrivèrent à la cour du roi, père d'Hébé. La joie de revoir cette belle princesse fut très sensible au roi et à la reine ; ils furent charmés du prince de l'île Paisible, on célébra leur arrivée par mille fêtes dans tout le royaume ; mais Ilérie frémit en apprenant le retour d'Hébé ; il fut arrêté qu'elles se reverraient, et qu'on ne ferait nulle mention de tout ce qui s'était passé.

    Atimir demanda à revoir Hébé, il parut même à Ilérie qu'il le désirait avec un peu trop d'empressement. La princesse Hébé rougit quand il entra dans sa chambre, et ils furent l'un et l'autre dans un embarras dont tout leur esprit ne les put tirer. Le roi, qui était présent, le remarqua ; il se mêla dans leur conversation ; et pour rendre cette visite plus courte, il proposa à la princesse de descendre dans les jardins du palais. Atimir n'osa donner la main à Hébé, il la salua respectueusement, et se retira. Mais quelles idées et quels sentiments n'emporta-t-il pas dans son cœur ! Toute cette passion si vive et si tendre qu'il avait sentie pour Hébé se ralluma dans un moment ; il haït Ilérie, il se haït lui-même ; jamais infidélité ne fut suivie de tant de repentirs, ni de tant de douleur.

    Le soir, il fut chez la reine ; la princesse Hébé y était, il n'eut d'attention que pour elle, il chercha avec beaucoup de soin à lui parler ; elle l'évita toujours, mais ses regards lui en firent trop entendre pour son repos ; il continua quelque temps à lui marquer, par toutes ses actions, que ses yeux avaient repris sur lui leur premier empire. Le cœur d'Hébé en fut alarmé, Atimir lui paraissait toujours trop aimable ; elle se résolut de le fuir avec autant de soin qu'il en prenait de la chercher, elle ne lui parlait jamais que chez la reine, et ce n'était même que quand elle ne s'en pouvait absolument dispenser ; elle se résolut aussi de conseiller au prince de l'île Paisible de retourner bientôt dans son royaume ; mais que de difficultés quand il faut quitter ce que l'on aime !

    Un soir qu'elle était occupée de cette pensée, elle s'enferma dans son cabinet', pour y rêver avec plus de liberté ; elle trouva un billet qu'on avait mis dans sa poche sans qu'elle s'en fût aperçue ; elle l'ouvrit, et l'écriture d'Atimir, qu'elle reconnut, lui fit sentir un trouble qui ne se peut exprimer ; elle crut ne le devoir pas lire, mais son cœur l'emporta sur sa raison ; elle le lut, et y trouva ces paroles

    Vous n'êtes plus sensible à mon ardent amour,

    Vous n'avez plus pour moi que de l'indifférence :

    Belle Hébé, votre cœur est léger à son tour ;

    Il imita si bien ma fatale inconstance,

    Hélas ! qu'il ne saurait imiter mon retour.

    Cet heureux temps n'est plus, où de mon tendre amour

    Vous daigniez partager les plaisirs et les peines ;

    Nous fûmes, il est vrai, volages tour à tour,

    Mais je reviens à vous, chargé des mêmes chaînes :

    Hélas ! ne sauriez-vous imiter mon retour ?

    « Ah cruel ! s'écria la princesse, que vous ai-je fait, pour chercher à rallumer dans mon âme une tendresse qui m'a tant coûté de douleurs ? » Les larmes d'Hébé interrompirent son discours.

    Cependant Ilérie languissait d'une jalousie qui n'était que trop bien fondée. Atimir, emporté par sa passion, ne pouvait plus se contraindre ; le prince de l'île Paisible commença à s'apercevoir de son amour pour Hébé, mais il voulut examiner davantage la conduite d'Atimir avant que d'en parler à la princesse ; il l'adorait constamment, et il craignait par ses discours de la faire apercevoir lui-même de la passion de ce prince.

    Quelques jours après qu'Hébé eut reçu ce billet, il y eut des courses de chevaux ; les princes et toute la belle jeunesse de la cour devaient rompre des lances à l'honneur des dames. Le roi et la reine honorèrent ce divertissement de leur présence, la belle Hébé et la princesse Ilérie devaient elles-mêmes donner le prix ; l'un était une épée, dont la garde et le fourreau étaient couverts de pierreries d'une beauté extraordinaire ; et l'autre, un bracelet de diamants brillants très parfaits. Tous les chevaliers nommés pour les courses parurent d'une magnificence merveilleuse, et montés sur les plus beaux chevaux du monde ; ils portaient tous les couleurs de leurs maîtresses, et sur leurs écus des devises galantes, convenables aux sentiments de leur cœur.

    Le prince de l'île Paisible parut superbement vêtu, et montant un cheval isabelle à crins noirs d'une beauté incomparable ; dans tout son équipage brillait la couleur de rose, c'était celle qu'aimait Hébé. On voyait sur un casque fort léger, qui couvrait sa tête, flotter un bouquet de plumes de cette même couleur. Il attira les applaudissements de tous les spectateurs ; et il paraissait si beau sous ses armes brillantes, qu'Hébé se fit mille reproches secrets des sentiments que son malheur lui inspirait pour un autre. La suite du prince de l'île Paisible était nombreuse ; elle était vêtue à la mode de son pays ; tout y paraissait galant et magnifique ; un écuyer portait son écu, on s'empressa d'en voir la devise. C'était un cœur percé d'une flèche ; un petit Amour en lançait un grand nombre, pour essayer d'y faire de nouvelles blessures ; mais elles paraissaient toutes, hors la première, avoir été tirées inutilement ; ces mots étaient écrits au-dessous :

    Je n'en crains point d'autres.

    Les couleurs et la devise du prince de l'île Paisible firent facilement remarquer que c'était comme chevalier de la belle Hébé qu'il avait voulu entrer dans la lice.


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