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CONTE - L'Heureuse Peine page 1
Par La Comtesse de Murat
Il fut autrefois un grand roi qui devint éperdument amoureux d'une belle princesse de sa cour ; dès qu'il l'aima, il lui parla de sa tendresse ; les rois ont d'autres privilèges que les vulgaires amants. La princesse ne s'offensa point d'un amour qui pouvait la placer sur le trône, mais elle parut toujours aussi sage au roi qu'il la trouvait charmante ; il l'épousa, la noce se fit avec une magnificence incroyable, et ce qui l'est encore bien davantage, c'est qu'il fut époux sans cesser d'être amant. Le bonheur d'un si doux hyménée ne fut troublé que par la tristesse de n'avoir point d'enfants pour succéder à leur bonheur et à leur royaume. Le roi, pour pouvoir du moins jouir de la douceur de l'espérance, se résolut d'aller consulter une fée, qu'il croyait fort de ses amies ; elle s'appelait Formidable, mais elle ne l'avait pas toujours été pour le roi ; on dit même que l'on trouvait encore dans de vieux recueils de ce pays-là des vaudevilles qui disaient beaucoup de ses nouvelles, tant les poètes ont été téméraires de tout temps ; car la fée était fort respectée, et paraissait si farouche qu'il n'était presque pas possible de s'imaginer qu'elle eût ressenti le pouvoir de l'amour ; mais où sont les cœurs qui lui échappent ? Le roi, qui avait toujours été galant et qui avait beaucoup d'esprit, n'ignorait pas que les apparences sont souvent trompeuses. Il trouva Formidable dans un bois où il était allé à la chasse ; elle parut à ses yeux sous une figure si gracieuse, et avec un air si charmant que le roi ne douta pas un moment qu'elle ne voulût plaire. Rarement on fait briller tant de charmes sans intention. Le roi l'aima. Sa fée trouva plus de plaisir à être aimée qu'à inspirer toujours de la terreur ; cette tendresse dura quelques années, mais un jour Formidable qui comptait sur le cœur de son amant, comme sur un bien qui ne pouvait cesser d'être à elle, se laissa voir au roi sous sa véritable figure. Elle n'était plus jeune, elle n'avait guère de beauté ; elle se repentit, par le trouble qu'elle remarqua sur le visage du roi, d'avoir eu trop de confiance en elle-même ; et elle reconnut peu après que les sentiments du cœur, quelque tendres qu'ils puissent être, ne peuvent toucher et ne sauraient rendre l'amour heureux, s'ils ne sont soutenus par une figure aimable. Le roi fut honteux de n'avoir été amoureux que d'une belle idée. Il cessa d'aimer la fée, et conserva seulement pour elle des égards et de la déférence. Formidable, par une gloire qui lui était naturelle, feignit si bien d'être contente de l'amitié du roi qu'elle le persuada qu'elle était la meilleure de ses amies ; elle fut même à sa noce comme les autres fées du pays qui en furent priées, pour ne pas donner à penser par un refus éclatant qu'elle eût lieu d'être fâchée de ce mariage.
Le roi, comptant donc sur l'amitié de son ancienne maîtresse, l'alla trouver dans sa demeure : c'était un palais de marbre couleur de feu au milieu d'une vaste forêt. L'on y arrivait par une avenue d'une longueur prodigieuse, elle était bordée des deux côtés par cent lions couleur de feu. Formidable n'aimait que cette couleur, et elle avait [fait] fée ainsi tous les animaux qui naissaient dans cette forêt ; au bout de l'avenue, on trouvait une grande place carrée, où une troupe de maures vêtus de couleur de feu et or, magnifiquement armés, faisaient une garde perpétuelle. Le roi traversa seul la forêt, il en savait les chemins à merveille, il traversa même l'avenue des lions sans danger, car il leur jeta en entrant des renoncules que la fée lui avait données autrefois pour traverser ce passage, sans craindre ces redoutables lions ; dès que le roi leur eut jeté ces belles fleurs, ils devinrent doux et paisibles. Il se trouva enfin à la garde des maures ; ils tournèrent d'abord leurs flèches contre lui, mais le roi leur jetant des fleurs de grenades qu'il tenait aussi de la fée comme les renoncules, les maures tirèrent en l'air leurs flèches, et se rangèrent en haie pour le laisser passer.
Il entra dans le palais de Formidable ; elle était dans un salon, assise sur un trône de rubis, au milieu de douze mauresses vêtues de gaze, couleur de feu et or ; son habit était pareil aux leurs, et si couvert de pierreries qu'elle brillait comme le soleil, mais elle n'en était pas plus belle ; le roi regarda, et écouta quelques moments avant que d'entrer dans le salon ; il y avait auprès de la fée quantité de livres sur une table de marbre rouge ; il vit qu'elle en prenait un, et continuait d'instruire les mauresses de ces secrets qui rendent les fées si redoutables, mais Formidable ne leur apprenait que ceux qui sont contraires au repos et au bonheur des hommes. Elle se gardait bien de leur enseigner ceux qui peuvent contribuer à leur félicité. Le roi en sentit de la haine pour la fée, et entrant dans le salon, interrompit cette fatale leçon, et surprit Formidable par son arrivée ; mais se remettant, dans le moment même elle renvoya ces mauresses, et regardant le roi avec un air de fierté et de colère : « Que venez-vous chercher ici, lui dit-elle, prince inconstant ? Pourquoi par votre odieuse présence venez-vous troubler encore le repos dont je tâche à jouir ici ? » Le roi fut tout surpris d'un discours qu'il n'attendait pas, et la fée ouvrant un de ces livres : « Je vois bien ce que vous voulez, continua-t-elle ; oui, vous aurez une fille de cette princesse que vous m'avez préférée si injustement, mais ne croyez pas être toujours heureux ; il est temps que je me venge. La fille que vous devez avoir sera autant haïe de tout le monde que je vous ai autrefois aimé tendrement. » Le roi fit tout ce qu'il lui fut possible pour adoucir la colère de la fée, mais ce fut inutilement, la haine avait succédé à l'amour, et c'était l'amour qui pouvait attendrir la fée, car la pitié et la générosité étaient des sentiments qu'elle ne connaissait point. Elle ordonna fièrement au roi de sortir de son palais, et ouvrant une volière, il en sortit un perroquet couleur de feu. « Suivez cet oiseau, dit-elle au roi, et rendez grâces à ma bonté qui ne vous livre pas à la fureur de mes lions et de mes gardes. » L'oiseau vola, le roi le suivit, et par un chemin qui lui était inconnu, et beaucoup plus court que celui qu'il connaissait, il fut conduit dans son royaume.
La reine, qui le trouva à son retour d'une tristesse extrême, lui en demanda tant le sujet que le roi lui apprit la cruelle prédiction de la fée, sans toutefois lui apprendre tout ce qui s'était passé autrefois entre eux, pour ne pas attirer de nouveaux malheurs sur la belle reine. Cette jeune princesse savait qu'une fée ne peut pas empêcher absolument ce qu'une de ses pareilles a prédit, mais qu'elle peut adoucir les peines qui ont été ordonnées. « J'irai, dit la reine, trouver Lumineuse, souveraine de l'empire Heureux ; c'est une fée célèbre qui se plaît à protéger les malheureux. Elle est ma parente, elle m'a toujours favorisée, et elle m'avait même prédit la fortune où l'amour me devait faire parvenir. » Le roi approuva fort le voyage de la reine, et il en espéra beaucoup ; son équipage étant prêt, elle fut chercher Lumineuse ; elle portait ce nom parce que sa beauté était si brillante qu'à peine en pouvait-on soutenir l'éclat, et la grandeur de son âme répondait parfaitement à sa beauté.
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