• CONTE - Le Parfait Amour page 1

    Ecrit par La Comtesse de Murat

     

    Pour son Altesse Sérénissime Madame la Princesse Douairière de Conty

     

    Venez, Amours, je chante votre Reine ;

    De cet emploi je me fais un bonheur

    Vous savez mieux que le dieu d'Hippocrène,

    Dans les discours mettre un charme flatteur ;

    Charme touchant, et qui va droit au cœur.

    Muses n'ont point science si certaine ;

    Vous pouvez plus que Fée et qu'Enchanteur.

    Venez, Amours, je chante votre Reine.

    Que de beautés, et quel air de grandeur !

    Esprit divin, grâce toujours nouvelle,

    Noble fierté digne d'une immortelle ;

    Peut-on la voir et douter un moment,

    Que le Destin n'ait réservé pour elle

    De tous les biens le plus charmant ?

    Cet aimable, ce doux Empire,

    Préférable à l'encens, aux suprêmes honneurs,

    Et tel que Jupiter lui-même le désire,

    C'est de régner dans tous les cœurs.

    LE PARFAIT AMOUR, conte

     

    Dans un de ces agréables pays qui sont dépendants de l'empire des fées régnait la redoutable Danamo ; elle était savante dans son art, cruelle dans ses actions, et glorieuse de l'honneur d'être descendue de la célèbre Calypso, dont les charmes eurent la gloire et le pouvoir, en arrêtant le fameux Ulysse, de triompher de la prudence des vainqueurs de Troie. Elle était grande, avait l'air farouche, et sa fierté s'était soumise avec beaucoup de peine aux dures lois de l'hymen ; l'amour n'avait jamais pu parvenir jusqu'à son cœur, mais le dessein d'unir un royaume florissant à celui dont elle était reine, et à un autre qu'elle avait usurpé, lui avait fait épouser un vieux roi de ses voisins.

    Il mourut peu d'années après son mariage, et il en demeura à la fée une fille qui fut nommée Azire ; elle était d'une laideur extraordinaire, mais elle ne paraissait point telle aux yeux de Danamo, elle la trouvait charmante, peut-être à cause qu'elle lui ressemblait parfaitement. Elle devait être reine de trois royaumes, cette circonstance adoucit bien des défauts, elle fut demandée par tous les princes les plus puissants des contrées voisines. Cet empressement, joint à l'aveugle amitié de Danamo, acheva de rendre sa vanité insupportable ; elle était désirée avec ardeur, donc elle était digne de l'être.

    C'était ainsi que la fée et la princesse raisonnaient entre elles, et jouissaient du plaisir de se tromper ; cependant Danamo ne songeait qu'à rendre le bonheur de la princesse aussi parfait qu'elle l'en trouvait digne ; elle élevait dans son palais un jeune prince, fils de son frère. Il s'appelait Parcin-Parcinet, il avait l'air noble, la taille fine, une grande quantité de cheveux blonds admirables ; l'Amour pouvait être jaloux de sa beauté et même de son pouvoir, car ce dieu n'a jamais eu de flèches aux pointes dorées si sûres de triompher des cœurs sans résistance, que l'étaient les beaux yeux de Parcin-Parcinet. Il faisait bien tout ce qu'il voulait faire, il dansait parfaitement, il chantait de même, et il gagnait tous les prix des tournois, dès qu'il prenait la peine de les disputer. Ce jeune prince faisait les délices de la cour, et Danamo, qui avait ses desseins, ne s'était point opposée aux respects et à l'admiration que l'on avait pour lui.

    Le roi, père de Parcin-Parcinet, était frère de la fée ; elle lui déclara la guerre, sans même en chercher de raisons ; ce roi combattit vaillamment à la tête de ses troupes, mais que peut une armée contre le pouvoir d'une fée aussi savante que Danamo ? Elle ne laissa balancer la victoire qu'autant qu'il [le fallait] pour que son malheureux frère pérît en cette occasion ; dès qu'il fut mort, d'un coup de baguette elle dissipa ses ennemis, et se rendit maîtresse du royaume. Parcin-Parcinet était encore au berceau, on l'apporta à Danamo ; on aurait entrepris en vain de le cacher à une fée ; il avait déjà ces grâces séduisantes qui gagnent les cœurs ; Danamo le caressa, et peu de jours après elle l'emmena avec elle dans son royaume.

    Ce prince avait dix-huit ans quand la fée, voulant enfin exécuter ses desseins formés depuis tant d'années, résolut d'unir Parcin-Parcinet à la princesse sa fille. Elle ne douta pas un moment de la joie infinie qu'aurait ce jeune prince, né ambitieux, destiné par ses malheurs à vivre sujet, de devenir en un jour souverain de trois empires ; elle envoya quérir la princesse, et lui découvrit enfin le choix qu'elle avait fait pour elle.

    La princesse écouta ce discours avec une émotion qui fit juger à la fée que cette résolution en faveur de Parcin-Parcinet déplaisait à sa fille. « Je vois bien, lui dit-elle en remarquant que son trouble augmentait encore, que tu voulais porter ton ambition plus loin, et joindre à ton empire celui d'un de ces rois qui t'ont tant de fois demandée. Mais de quels rois Parcin-Parcinet ne peut-il pas être vainqueur ? Son courage est au-dessus de tous ; les sujets d'un prince si parfait pourraient bien un jour en sa faveur devenir rebelles. En te donnant à luit, je t'assure la possession de son royaume. Pour sa personne, il est inutile d'en parler, tu sais que les plus fières beautés n'ont pu résister à ses charmes. »

    La princesse, se jetant tout d'un coup aux pieds de la fée, interrompit son discours, et lui avoua que son cœur n'avait pu résister à ce jeune vainqueur, fameux par tant de conquêtes ; « mais, ajouta-t-elle en rougissant, j'ai donné mille marques de ma tendresse à l'insensible Parcin-Parcinet, il les a reçues avec une froideur qui me désespère. - C'est qu'il n'osait élever ses pensées jusqu'à toi, reprit l'orgueilleuse fée, il a sans doute craint de me déplaire, et je lui sais bon gré de son respect. »

    Cette opinion flatteuse était trop convenable à l'inclination et à la vanité de la princesse pour ne s'en pas laisser persuader. Enfin la fée envoya quérir Parcin-Parcinet, il vint la trouver dans un cabinet magnifique où elle l'attendait avec la princesse sa fille. « Appelle tout ton courage à ton secours, lui dit-elle dès qu'il parut ; ce n'est pas pour soutenir des malheurs, mais c'est pour ne pas succomber sous ta bonne fortune : tu vas régner, Parcin-Parcinet, et pour comble de bonheur, tu vas régner en épousant ma fille. - Moi, madame ! s'écria le jeune prince avec un étonnement où il était aisé de remarquer que la joie n'avait point de part, moi je vais épouser la princesse ? continua-t-il en reculant quelques pas. Hé ! quel dieu vient se mêler de ma destinée ? Que n'en laisse-t-il le soin au seul à qui je demandais du secours ? »

    Ces paroles furent prononcées par le prince avec un emportement où son cœur prenait trop de part pour pouvoir être d'abord arrêté par sa raison. La fée crut que le bonheur inespéré de Parcin-Parcinet le mettait hors de lui-même, mais la princesse l'aimait, et l'amour rend quelquefois les amants plus pénétrants que l'esprit même. « De quel dieu, Parcin-Parcinet, lui dit-elle avec émotion, implorez-vous si tendrement le secours ? Je connais trop bien que je n'ai point de part aux vœux que vous lui faites. » Le jeune prince, qui avait eu le temps de se remettre de son premier étonnement, et qui avait compris l'imprudence de ce qu'il venait de faire, appela son esprit au secours de son cœur. Il répondit plus galamment à la princesse qu'elle n'avait espéré, et remercia la fée avec un air de grandeur, qui marquait assez qu'il était non seulement digne des empires qui lui étaient offerts, mais de celui de tout le monde.

    Danamo et son orgueilleuse fille furent satisfaites de ses discours, elles réglèrent toutes choses avant que de sortir du cabinet, et la fée ne différa le jour des noces de quelque temps que pour donner le loisir à toute sa cour de se préparer à cette grande fête. En sortant du cabinet de la reine, la nouvelle du mariage de Parcin-Parcinet avec Azire fut répandue en un moment dans tout le palais ; on vint en foule s'en réjouir avec le prince. Quelque peu aimable que fût la princesse, c'était une belle fortune que celle où elle allait le faire monter.

    Parcin-Parcinet recevait tous ces honneurs avec un air froid qui surprenait d'autant plus ses nouveaux sujets qu'il paraissait mêlé d'un chagrin et d'une inquiétude extrêmes ; il fallut le reste de la journée qu'il reçût les empressements de toute la cour, et qu'il soutînt les témoignages d'amour que lui donnait sans cesse Azire. Quelle situation pour un jeune prince occupé d'une vive douleur ! La nuit lui parut avoir retardé son retour mille fois plus longtemps qu'à l'ordinaire. L'impatient Parcin-Parcinet la pressait par ses souhaits ; elle vint enfin, il sortit avec précipitation de ce lieu où il avait tant souffert, il rentra dans son appartement, et après avoir écarté tout le monde, il ouvrit une porte qui donnait dans les jardins du palais ; il les traversa, suivi seulement d'un jeune esclave.

    Une belle rivière, mais de peu d'étendue, passait au bout de ces jardins, et séparait du magnifique palais de la fée un petit château flanqué de quatre tours, et entouré d'un fossé assez profond que remplissait cette même rivière ; c'était dans ce lieu fatal que volaient sans cesse les vœux et les désirs de Parcin-Parcinet. Quelle merveille y était renfermée ! Danamo y faisait garder soigneusement ce trésor c'était une jeune princesse, fille de sa soeur. Elle l'avait confiée en mourant aux soins de la fée ; sa beauté, digne de l'admiration de tout le monde, parut trop dangereuse à Danamo, pour laisser voir Azire auprès d'elle. Quelquefois on permettait à la charmante Irolite, c'est ainsi qu'elle se nommait, de venir au palais voir la fée et la princesse sa fille, mais jamais on ne l'avait laissée paraître en public ; ses charmes naissants étaient inconnus, mais non pas ignorés de tout le monde. Ils avaient paru chez la princesse Azire aux yeux de Parcin-Parcinet, et il l'adora dès qu'il l'eut vue. La proximité du sang ne donnait aucun privilège à ce jeune prince auprès d'Irolite ; depuis que la jeune princesse n'était plus un enfant, l'impitoyable Danamo ne peilliettait de la voir à personne.

    Cependant Parcin-Parcinet brûlait d'un feu aussi ardent que le devaient allumer les charmes d'Irolite ; elle avait quatorze ans, sa beauté était parfaite, ses cheveux étaient d'une couleur charmante, sans être tout à fait noirs ni blonds ; son teint avait tout à fait la fraîcheur du printemps, sa bouche était belle, ses dents admirables, son sourire gracieux ; elle avait de grands yeux bruns, vifs et touchants, et ses regards paraissaient dire mille choses, que son jeune cœur ignorait.


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