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CONTE - Le Parfait Amour page 2
On l'avait élevée dans une grande solitude : quelque près du palais de la fée que fût le château où elle demeurait, elle n'y voyait pas plus de monde qu'elle aurait fait au milieu des déserts. Danamo faisait suivre exactement cet ordre ; la belle Irolite passait sa vie avec les femmes destinées à être auprès d'elle. Leur nombre était petit, mais quelque peu de fortune qu'on dût attendre dans une cour si solitaire et si bornée, la renommée, qui ne redoutait point Danamo, publiait tant de merveilles de cette jeune princesse, que les personnes les plus élevées de la cour s'offraient à s'aller renfermer avec la jeune Irolite. Sa présence ne démentait point ce que la renommée en faisait attendre, on trouvait toujours en elle à admirer.
Une gouvernante d'un esprit et d'une sagesse extrêmes, autrefois arrachée à la princesse, mère d'Irolite, était demeurée auprès d'elle, et gémissait souvent des rigueurs de Danamo pour la charmante Irolite ; elle s'appelait Mana. Le désir de rendre à la princesse la liberté dont el1e devait jouir et le rang où elle devait être, lui avait fait souffrir l'amour de Parcin-Parcinet. Il y avait alors trois ans qu'il s'était un soir introduit dans le château en habit d'esclave ; il trouva Irolite dans le jardin, il lui parla de sa tendresse, elle n'était alors qu'un enfant, mais c'était un enfant admirable ; elle aimait Parcin-Parcinet comme s'il eût été son frère, et ne pouvait encore comprendre que l'on aimât autrement. Mana, qui ne s'éloignait guère d'Irolite, surprit le jeune prince dans le jardin ; il lui apprit son amour pour la princesse, et le dessein qu'il avait formé de perdre la vie, ou de lui rendre un jour la liberté, et d'aller ensuite chercher, en se montrant au peuple de son royaume, un moyen glorieux de se venger de Danamo, et de placer Irolite sur le trône. Le mérite naissant de Parcin-Parcinet pouvait rendre croyables les projets les plus difficiles, et c'était le seul secours qui s'offrait pour délivrer Irolite. Mana lui permit de venir quelquefois dans le château quand la nuit serait arrivée ; il ne voyait Irolite qu'en sa présence, mais il lui parlait de son amour, et tâchait sans cesse, par ses tendres discours et par ses soins constants, de lui inspirer une ardeur aussi vive que la sienne. Parcin-Parcinet depuis trois ans n'était occupé que de sa tendresse, presque toutes les nuits il allait au château de sa princesse, et tous les jours il ne faisait que penser à elle.
Nous l'avons laissé traversant les jardins de Danamo, suivi d'un esclave, et pénétré de la douleur où le réduisaient les résolutions de la fée. Il arriva au bord de la rivière ; une petite barque dorée, attachée sur le rivage, dans laquelle Azire se promenait quelquefois sur l'eau, servait à passer l'amoureux prince. L'esclave ramait, et dès que Parcin-Parcinet avait monté une échelle de soie qu'on lui jetait d'une petite terrasse, qui régnait' sur toute la face du château, le fidèle esclave ramenait la barque où elle devait être, et ne la rapprochait du château qu'à un signal que lui faisait Parcin-Parcinet : c'était de faire voir pendant quelques moments un flambeau allumé sur la terrasse. Ce soir, le prince fit son chemin ordinaire, on lui jeta l'échelle de soie, et il entra sans obstacle jusqu'à la chambre de la jeune Irolite, il la trouva couchée sur un lit de repos, tout en larmes. Qu'elle lui parut belle dans cet état douloureux ! Ses charmes n'avaient jamais paru si touchants au jeune prince.
« Qu'avez-vous, ma princesse ? lui dit-il en se jetant à genoux devant le lit sur lequel elle était couchée. Qui peut faire couler ces précieuses larmes ? Hélas ! continua-t-il en soupirant, aurai-je encore ici de nouveaux malheurs à apprendre ! » Les larmes et les soupirs de ces jeunes amants se confondirent ensemble, et il fallut qu'ils en laissassent passer le cours avant que de se pouvoir dire la cause de cette vive douleur. Enfin ce jeune prince pria Irolite de lui apprendre quelle nouvelle rigueur la fée avait encore exercée contre elle. « Elle veut vous faire épouser Azire, lui répondit la belle Irolite en rougissant ; quelle de ces cruautés pouvait jamais m'être si douloureuse ? - Ah ! ma chère princesse, s'écria le prince, vous craignez que j'épouse Azire ! Mon sort est mille fois plus doux que je ne l'avais pensé. - Pouvez-vous vous louer de la destinée, reprit languissamment la jeune Irolite, quand elle s'apprête à nous séparer ? Je ne saurais exprimer les peines que cette frayeur me fait sentir. Ah ! Parcin-Parcinet, vous aviez raison, on aime autrement un amant qu'un frère. »
L'amoureux prince pensa remercier la fortune de ses malheurs, jamais le jeune cœur d'Irolite ne lui avait paru connaître l'amour, et enfin il ne pouvait plus douter du bonheur d'avoir inspiré ces tendres sentiments à sa princesse. Cette félicité, qu'il n'attendait pas, releva toutes ses espérances. « Non, s'écria-t-il avec transport, je ne désespère plus de vaincre nos malheurs, puisque je suis assuré de votre tendresse ; fuyons, ma princesse, fuyons les fureurs de Danamo et de son odieuse fille, allons confier à un séjour moins funeste l'ardent amour qui peut seul nous rendre heureux. - Quoi ! je partirais avec vous, reprit avec étonnement la jeune princesse, et que dirait tout ce royaume de ma fuite ? - Oubliez ces vaines considérations, belle Irolite, interrompit l'impatient Parcin-Parcinet, tout nous presse de quitter ces lieux, allons... - Mais où irez-vous ? reprit la prudente Mana, qui avait toujours été présente, et qui, moins préoccupée que ces jeunes amants, prévoyait toutes les difficultés de leur fuite. - J'ai des desseins dont je vais vous rendre compte, lui dit Parcin-Parcinet, mais comment avez-vous si tôt appris ici les nouvelles de la cour de la fée ? - Un de mes parents, reprit Mana, m'a écrit dès que ce bruit a été répandu dans le palais, et j'ai cru en devoir avertir la princesse. - Que j'ai souffert depuis ce moment ! reprit l'aimable Irolite. Non, Parcin-Parcinet, je ne pourrais pas vivre sans vous. » Le jeune prince, transporté d'amour et charmé de ces paroles, porta sur la belle main d'Irolite un baiser ardent et tendre, qui eut toutes les grâces d'une faveur précieuse et d'une première faveur. Le jour qui commença à paraître avertit trop tôt Parcin-Parcinet qu'il était temps de se retirer ; il assura la princesse qu'il reviendrait la nuit suivante pour lui faire part de ses desseins, il retrouva la barque et son fidèle esclave, et se retira dans son appartement. Il était transporté du plaisir d'être aimé de la belle Irolite, et agité par les difficultés qu'il prévoyait bien qui se rencontreraient à sa suite ; le sommeil ne put calmer cette inquiétude, ni lui faire oublier un moment son bonheur.
À peine le matin était-on entré dans son appartement, qu'un nain lui présenta une écharpe magnifique de la part de la princesse Azire, qui par un billet plus tendre que Parcin-Parcinet n'eût désiré, le priait instamment de porter dès ce jour-là cette écharpe. Il fit une réponse qui l'embarrassa fort, mais il fallait délivrer Irolite ; et à quelle contrainte ne se serait-il pas exposé pour lui rendre sa liberté ? Il venait de renvoyer le nain d'Azire, quand un géant vint lui présenter de la part de Danamo un sabre d'une beauté extraordinaire ; la poignée était d'une seule pierre plus brillante qu'un diamant, et qui jetait une lumière si éclatante qu'elle éclairait pendant la nuit' ; sur ce sabre étaient gravées ces paroles
Pour la main d'un vainqueur.
Ce présent plut à Parcin-Parcinet, il alla en remercier la fée, et parut chez elle, paré de ce sabre merveilleux qu'elle lui venait d'envoyer, et de la belle écharpe d'Azire. La tendresse qu'Irolite avait pour lui suspendait toutes ses inquiétudes, elle avait répandu dans son cœur cette joie si douce et si parfaite que fait sentir l'amour heureux ; cet air content paraissait dans toutes ses actions, Azire l'attribuait à ses charmes, et la fée à l'ambition satisfaite de Parcin-Parcinet. La journée se passa en plaisirs qui ne diminuèrent rien de la longueur insupportable dont Parcin-Parcinet la trouva.
Sur le soir on se promena dans les jardins du palais, et sur cette même rivière, que le prince connaissait si bien ; son cœur sentit une vive émotion en entrant dans la petite barque. Quelle différence des plaisirs où elle avait accoutumé de le conduire, à l'ennui mortel qu'il sentait alors ! Parcin-Parcinet ne put s'empêcher de regarder plusieurs fois la demeure de la charmante Irolite ; elle ne parut point sur la terrasse du château, car il y avait un ordre exprès de ne la pas laisser sortir de sa chambre, quand la fée ou Azire se promenait sur l'eau. Cette princesse, qui était attentive à toutes les actions du prince, remarqua que ses regards étaient souvent tournés vers le château. « Que regardez-vous, prince ? lui dit-elle. Au milieu des honneurs qui vous environnent, la prison d'Irolite est-elle digne de votre attention ? - Oui, madame, reprit Parcin-Parcinet assez imprudemment, je suis sensible aux souffrances de ceux qui ne se sont point attiré leurs malheurs. - Vous êtes trop pitoyable, reprit dédaigneusement Azire ; mais pour vous tirer de peine, ajouta-t-elle en baissant sa voix, je vous dirai qu'Irolite ne sera pas longtemps prisonnière. - Et que deviendra-t-elle ? reprit brusquement le jeune prince. - La reine lui fera épouser dans quinze jours le prince Ormond, répliqua Azire ; il est, comme vous le savez, de même sang que nous ; et suivant les intentions de la reine, le lendemain de son mariage il emmènera Irolite dans une de ses forteresses, d'où elle ne reviendra jamais à la cour. - Quoi ! reprit le prince avec une émotion extraordinaire, la reine donnerait cette belle princesse à un prince si effroyable, et dont les mauvaises qualités surpassent encore la laideur ? Quelle cruauté ! » Ce dernier mot lui échappa malgré lui, mais il ne put trahir plus longtemps son courage et son cœur. « Il me semble que ce n'était pas à vous, Parcin-Parcinet, lui répondit fièrement Azire, à vous plaindre des cruautés de Danamo. » Cette conversation aurait sans doute été poussée trop loin pour un jeune prince qui devait feindre, quand par bonheur pour Parcin-Parcinet, des filles de la suite d'Azire se rapprochèrent d'elle ; et un moment après, la fée ayant paru au bord de l'eau, Azire la voulut aller rejoindre ; en sortant de la barque, Parcin-Parcinet feignit de se trouver mal, pour avoir du moins la liberté d'aller se plaindre sans témoins de ses nouvelles infortunes.
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