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CONTE - Le Parfait Amour page 3
La fée, et surtout Azire, lui témoignèrent une grande inquiétude de son mal ; il se retira chez lui, ce fut là qu'il accusa mille fois le destin des malheurs qui menaçaient la charmante Irolite, et qu'il s'abandonna à toute sa douleur et à toute sa tendresse, et que commençant enfin de remédier à des maux si douloureux pour un amant fidèle, il écrivit, avec les expressions les plus touchantes que son amour lui pût dicter, à une de ses tantes qui était fée comme Danamo, mais qui avait autant de joie à soulager les malheureux que Danamo prenait de plaisir à en faire : on la nommait Favorable. Il lui expliqua donc la situation cruelle où l'amour [et] la fortune l'avaient réduit, et n'osant s'éloigner lui-même de la cour de Danamo, sans trahir les desseins qu'il avait formés, il envoya son fidèle esclave à Favorable.
Quand tout le monde fut retiré, il sortit à son ordinaire de son appartement, traversa seul les jardins, et entrant dans la petite barque, prit lui-même une rame sans savoir encore s'il pourrait bien s'en servir ; mais que n'apprend point l'amour ! Il enseigne des choses bien plus difficiles ; il fit ramer Parcin-Parcinet avec autant d'adresse et de diligence que le plus expert en ce métier. Il entra dans le château d’Irolite, et fut bien surpris de ne trouver que la sage Mana, fondant en pleurs dans la chambre de la princesse. « Qu'avez-vous, Mana, lui dit le prince avec empressement, et en quel lieu est ma chère Irolite ? - Hélas, seigneur, lui dit Mana, elle n'est plus ici, une troupe des gardes de la reine et quelques femmes à qui apparemment elle se confie l'ont emmenée de ce château il y a trois ou quatre heures. » Parcin-Parcinet n'entendit point la fin de ces tristes paroles, il s'était évanoui dès qu'il avait appris le départ de la princesse ; Mana le fit revenir avec des peines infinies ; il ne sortit de cet état languissant que pour passer tout d'un coup à la fureur ; il tira un petit poignard qu'il portait à sa ceinture, et s'en serait percé le cœur si la sage Mana ne lui eût dit, en lui retenant le bras le mieux qu'il lui fut possible et se jetant à ses genoux : « Quoi, seigneur, vous voulez abandonner Irolite ? Vivez pour la délivrer des fureurs de Danamo. Hélas ! sans vous, où trouverait-elle du secours contre les cruautés de la fée ? » Ces paroles suspendirent un moment le désespoir du malheureux prince. « Hélas, reprit-il en versant des larmes que tout son courage ne put retenir, en quel lieu est ma princesse ? Oui, Mana, je vivrai pour avoir du moins la triste satisfaction de mourir pour elle, et d'expirer en la vengeant de ses ennemis. » Après ces mots, Mana le conjura de sortir de ce funeste séjour pour éviter de nouveaux malheurs. « Allez, prince, lui dit-elle, que savons-nous si la fée n'a point ici quelqu'un prêt à lui rendre compte de ce qui s'y passe ? Ménagez donc une vie si chère à la princesse que vous adorez ; je vous ferai savoir tout ce que je pourrai apprendre d'elle. »
Le prince partit après cette promesse, et se retira chez lui, avec toute la douleur que peut inspirer un amour bien malheureux et bien tendre. Il passa la nuit sur un siège, sur lequel il s'était jeté en entrant ; le jour l'y surprit, et il y avait déjà quelques heures qu'il était commencé quand il entendit quelque bruit à la porte de sa chambre ; il y courut avec cette impatience si pressante que l'on ressent quand on attend des nouvelles où le cœur s'intéresse si vivement ; il trouva que ses gens lui amenaient un homme qui voulait lui parler sans aucun retardement, il le reconnut pour un des parents de Mana ; il' remit une lettre entre les mains de Parcin-Parcinet ; il entra dans son cabinet pour cacher l'émotion que lui donnait cette lettre, il l'ouvrit avec précipitation, ayant reconnu l'écriture de Mana, et il y trouva ces paroles :
Mana,
Au plus grand prince du monde,
Rassurez-vous, seigneur, notre princesse est en sûreté, si ce mot peut être permis, tant qu'elle sera soumise au pouvoir de son ennemie ; elle m'a demandée à Danamo, qui m'a permis de retourner auprès d'elle, on la garde dans le palais ; hier au soir la reine la fit venir dans son cabinet, lui ordonna fièrement de regarder le prince Ormond comme devant être son époux dans peu de jours, et lui présenta ce prince si indigne d'être votre rival ; la princesse était si affligée qu'elle ne répondit à la reine que par des larmes, elles n'ont point encore tari ; c'est à vous, seigneur, à trouver, s'il est possible, du secours contre des maux si pressants.
Au bas de la lettre étaient ces mots écrits d'une main tremblante, et qui paraissaient effacés en quelques endroits :
Que je vous plains, mon cher prince ! Vos maux me sont encore plus douloureux que les miens ; j'épargne à votre tendresse le récit de ce que j'ai souffert depuis hier ; pourquoi faut-il que je trouble le repos de votre vie ? Hélas ! sans moi peut-être seriez-vous heureux.
Quel mouvement de joie et de douleur ne sentit point le cœur du jeune prince ! Quels baisers ne donna-t-il point à cette précieuse marque de l'amour de la divine Irolite ! Il était si hors de lui-même qu'il eut toutes les peines du monde à faire une réponse qui eût quelque suite ; il remercia la sage Mana, il instruisit la princesse du secours qu'il attendait de la fée Favorable, et que ne lui dit-il pas sur sa douleur et sur son amour ! Il porta enfin sa lettre au parent de Mana, et lui donna une attache de pierreries d'une beauté et d'un prix inestimables pour commencer à le récompenser du plaisir qu'il lui venait de faire. À peine le parent de Mana était[-il] sorti, que la reine et la princesse Azire envoyèrent savoir comment le prince avait passé la nuit ; il leur fut aisé de juger, par son visage, qu'il n'était pas en bonne santé ; on le pressa de se mettre au lit, et comme il comprit qu'il y serait moins contraint que s'il allait chez la fée, il y consentit.
L'après-dîner, la reine le fut voir et lui parla du mariage d'Irolite et du prince Ormond, comme d'une chose qu'elle avait résolue. Parcin-Parcinet, qui avait enfin pris la résolution de se contraindre pour ne pas rendre inutiles ses desseins, parut approuver les intentions de la fée, et la pria seulement d'attendre que sa santé fût rétablie, parce qu'il voulait être des fêtes de ce grand mariage. La fée et Azire, qui étaient au désespoir de son mal, lui promirent tout ce qu'il voulut, et du moins Parcin-Parcinet retarda quelques jours' la triste noce d'Irolite. La conversation qu'il avait eue en se promenant sur l'eau avec Azire avait avancé le malheur de la belle princesse qu'il aimait si tendrement. Azire avait rendu compte à la reine des discours de Parcin-Parcinet, et de sa pitié pour Irolite. La reine, qui ne retardait jamais l'exécution de ses volontés, envoya dès le même soir quérir Irolite, et résolut avec Azire d'achever le mariage de cette princesse, et de presser son départ avant que Parcin-Parcinet eût une autorité plus établie ; cependant au bout de dix jours, le fidèle esclave du prince arriva. Quelle joie pour lue de trouver dans la lettre que Favorable lui écrivait des marques de sa compassion et de son amitié pour lui et pour Irolite ! Elle lui envoyait une petite bague mêlée de quatre métaux différents, d'or, d'argent, d'airain et de fer ; cette bague pouvait le garantir quatre fois des persécutions de la cruelle Danamo ; et Favorable assurait le prince yue la mauvaise fée ne commanderait qu'on ne le poursuivît que le nombre de fois que la bague avait le pouvoir de le sauver. Ces bonnes nouvelles rendirent la santé au jeune prince, et il envoya chercher en diligence le parent de Mana. Il lui donna une lettre qui instruisait Irolite de l'heureux succès dont ils pouvaient se flatter. Il n'y avait point de temps à perdre ; la reine voulait achever le mariage d'Irolite dans trois jours.
Ce même soir, il y eut un bal chez Azire, Irolite y devait être. Parcin-Parcinet ne put se résoudre à y paraître négligé, il mit un habit magnifique, et il parut mille fois plus brillant que le jour ; il n'osa d'abord parler à la divine Irolite. Mais que ne se disaient-ils pas, quand leurs yeux osaient quelquefois se rencontrer ! Irolite avait le plus bel habit du monde ; la fée lui avait donné des pierreries merveilleuses, et n'ayant plus que quatre jours à l'avoir dans son palais, elle avait résolu de la traiter pendant ce peu de temps comme elle le devait être. Sa beauté, qui n'avait pas accoutumé d'être accompagnée de tant d'ornements, parut merveilleuse à tout le monde, et encore plus à l'amoureux Parcin-Parcinet ; il jugea même, par quelques mouvements de joie qu'il vit briller dans ses beaux yeux, qu'elle avait reçu sa lettre. Le prince Ormond parlait souvent à Irolite, mais il paraissait de si mauvaise mine sous l'or et les pierreries dont il était accablé, que ce n'était pas un rival digne de la jalousie du jeune prince.
Le bal était près de finir, quand Parcin-Parcinet, emporté par son amour, souhaita avec une ardeur extrême la liberté de pouvoir parler quelque moment à sa princesse. « Reine cruelle, et toi, odieuse Azire, dit-il en lui-même, m'ôterez-vous encore longtemps le charmant plaisir de dire mille fois à la belle Irolite que je l'adore ? Que ne sortez-vous de ces lieux, témoins jaloux de mon bonheur ? L'amour ne triomphe qu'en votre absence. » À peine Parcin-Parcinet eut formé ce souhait que la fée, se trouvant un peu mal, appela Azire, [et] passa avec elle dans une chambre prochaine où Ormond les suivit ; Parcin-Parcinet avait à son doigt la bague que la fée Favorable lui avait envoyée, elle pouvait le délivrer quatre fois des persécutions de Danamo. Il aurait dû garder ce secours assuré pour des occasions plus pressantes, mais un violent amour peut-il s'accorder avec la prudence ? Le jeune prince se douta bien, par le départ de la fée et d'Azire, que la bague commençait à servir son amour ; il vola près de la belle Irolite, il lui parla de sa tendresse avec des expressions plus vives qu'éloquentes ; il voyait bien qu'il avait peut-être employé légèrement le charme de Favorable, mais pouvait-il se repentir d'une imprudence qui le faisait parvenir au doux plaisir de parler à sa chère Irolite ? Ils résolurent ensemble, pour le lendemain, le lieu et l'heure où ils devaient enfin s'affranchir de leur pénible esclavage. La fée et Azire revinrent au bout de quelque temps. Parcin-Parcinet s'éloigna avec regret d' Irolite ; il regarda la bague fatale, et s'aperçut que le fer s'était confondu avec les autres métaux, et ne paraissait plus du tout ; ainsi il vit trop bien qu'il n'avait plus alors que trois souhaits à faire, il se résolut à les employer plus utilement que le premier pour sa princesse ; mais il ne fit confidence de son départ qu'à son fidèle esclave, et passa le reste de cette nuit à disposer toutes les choses nécessaires pour sa fuite.
Le lendemain, il parut tranquille chez la reine, et même d'une humeur plus vive qu'à son ordinaire ; il fit des plaisanteries au prince Ormond sur son mariage, et agit enfin d'une manière capable de calmer tous les soupçons, si l'on en avait eu quelques-uns sur son amour. À deux heures après minuit, il se rendit dans le parc de la fée, il y trouva son fidèle esclave, qui pour exécuter les ordres de son maître, avait amené en ce lieu quatre de ses chevaux. Le prince attendit peu ; l'aimable Irolite parut, marchant d'un pas chancelant et appuyée sur Mana : cette jeune princesse faisait cette démarche avec peine, il avait fallu toutes les cruautés de Danamo et toutes les mauvaises qualités d'Ormond pour l'y résoudre, l'amour seul n'aurait peut-être pas suffi. On était alors en été, la nuit était belle, et la lune qui éclairait dans le ciel, avec les étoiles brillantes, faisait une clarté plus aimable que celle du jour. Le prince s'avança avec empressement, ils n'étaient pas en lieu de faire de longs discours ; Parcin-Parcinet baisa tendrement la main d’Irolite, et lui aida à monter à cheval ; heureusement elle y était à merveille, et c'était un des plaisirs qui l'avaient amusée pendant sa prison. Elle montait quelquefois à cheval avec ses filles dans un petit bois peu distant de son château, dont la fée lui avait permis la promenade. Parcin-Parcinet, après avoir encore parlé quelques moments à la princesse, fut lui-même prendre son cheval ; les deux autres servirent à Mana et au fidèle esclave. Alors le jeune prince, tirant le sabre brillant qu'il tenait de la fée, jura à la belle Irolite de l'adorer toute sa vie et de mourir s'il était nécessaire pour la défendre de ses ennemis ; après ces mots, ils partirent, et il semblait que les zéphyrs fussent de leur intelligence, ou qu'ils prissent Irolite pour Flore, car ils l'accompagnèrent toujours.
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