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CONTE - Le Parfait Amour page 4
Cependant le jour découvrit à Danamo une nouvelle si peu attendue ; les dames qui étaient auprès d'Irolite s'étonnaient de ce qu'elle dormait bien plus tard qu'à l'ordinaire ; mais suivant l'ordre que la sage Mana leur avait donné le soir, elles n'osaient entrer chez la princesse sans qu'elle les vînt avertir. Mana couchait dans la chambre d'Irolite, et elles étaient sorties par une petite porte qui donnait dans une cour du palais, peu fréquentée ; cette porte était dans le cabinet d'Irolite, elle était fermée, mais avec un peu de peine, en deux ou trois soirées, elles avaient trouvé le moyen de l'ouvrir. Enfin la reine envoya chez Irolite pour lui ordonner de se rendre chez elle ; tout obéissait aux ordres de la fée, on frappa à la porte de la chambre de la princesse, on ne répondit point. Le prince Ormond arriva qui venait pour conduire Irolite chez la reine ; il fut très étonné de voir qu'on frappait vainement, il fit enfoncer la porte, on entra, et voyant la petite porte du cabinet forcée, on ne douta plus que la princesse n'eût fui du palais. L'on porta cette nouvelle à la reine, elle frémit de colère en l'apprenant. Elle ordonna que l'on cherchât partout Irolite, mais ce fut inutilement qu'on voulut s'instruire de sa fuite, personne n'en avait été informé. Le prince Ormond partit lui-même pour aller chercher Irolite, on envoya les gardes de la fée en toute diligence sur les chemins qu'on jugea qu'elle devait avoir pris.
Cependant Azire s'aperçut que dans ce trouble général, ParcinParcinet n'avait point paru ; elle envoya chez lui avec empressement, et enfin la jalousie, ouvrant les yeux d'Azire, lui fit penser que ce prince avait enlevé Irolite, quoiqu'elle ne l'eût pas encore soupçonné d'en être amoureux'. La fée ne le pouvait croire, mais elle alla consulter ses livres, et trouva que le soupçon d'Azire était une vérité. Cependant cette princesse, ayant appris que Parcin-Parcinet n'était point dans son appartement ni dans tout le palais, envoya dans le château où Irolite avait demeuré si longtemps, pour voir si l'on n'y trouverait rien qui pût justifier ou condamner le prince. La sage Mana avait eu soin de n'y rien laisser qui pût marquer l'intelligence d'Irolite avec Parcin-Parcinet, mais on trouva près du siège, sur lequel ce jeune prince avait été longtemps évanoui, l'écharpe qu'Azire lui avait donnée ; elle s'était détachée pendant son évanouissement, et ce prince et Mana, occupés de leur douleur, ne s'en étaient aperçus ni l'un ni l'autre. Que ne sentit point l'orgueilleuse Azire à la vue de cette écharpe ! Son amour et sa gloire la faisaient souffrir également, elle s'affligea avec excès, elle fit mettre dans les prisons de la fée tous ceux qui avaient été au service d’Irolite et à celui du prince. L'ingratitude que la reine croyait que Parcin-Parcinet avait pour elle poussa à l'extrémité sa fureur naturelle, et elle aurait donné volontiers un de ses royaumes pour pouvoir se venger de ces deux amants.
Cependant ils étaient poursuivis de tous côtés : Ormond et sa troupe trouvaient partout des chevaux frais par l'ordre de la fée, ceux de Parcin-Parcinet étaient las, et ne répondaient plus par leur ardeur à l'impatience de leur maître. En sortant d'une forêt, Ormond le joignit ; le premier mouvement du jeune prince fut d'aller combattre cet indigne rival ; il courait déjà au devant de lui, et portait la main sur son sabre, quand Irolite lui cria : « Prince, ne cherchez point un danger inutile, obéissez aux ordres de Favorable ! » Ces paroles arrêtèrent la colère de Parcin-Parcinet, et pour obéir à sa princesse et à la fée, il souhaita que la belle Irolite fût en sûreté contre les persécutions de la cruelle reine. A peine ce souhait fut-il formé que la terre s'ouvrit entre lui et Ormond ; il se présenta à ses yeux un petit homme assez mal fait, vêtu d'un habit magnifique, qui lui fit signe de le suivre. La pente était douce de son côté, il descendit de cheval avec la belle Irolite ; Mana et le fidèle esclave les suivirent, et la terre se referma. Ormond, surpris d’un événement si extraordinaire, courut en diligence pour en rendre compte à Danamo ; cependant nos jeunes amants suivirent le petit homme par une route fort obscure, au bout de laquelle ils trouvèrent un vaste palais, qui n'était éclairé que par une grande quantité de flambeaux et de lampes.
On les fit descendre de cheval, ils entrèrent dans une salle d'une grandeur prodigieuse ; elle était soutenue par des colonnes de terre luisante, couverte d'ornements d'or, les murs étaient de même matière ; un petit homme tout couvert de pierreries était assis sur un trône d'or au fond de la salle, entouré d'un grand nombre de gens faits comme celui qui avait conduit le prince jusqu'en ce lieu ; dès qu'il parut avec la charmante Irolite, le petit homme se leva de son trône, et lui dit : « Venez, prince, la grande fée Favorable, qui est dès longtemps de mes amies, m'a prié de vous sauver des cruautés de Danamo. Je suis le roi des Gnomes, soyez le bienvenu dans mon palais avec la belle princesse qui vous accompagne. » Parcin-Parcinet le remercia du secours qu'il venait de lui donner. Ce roi et tous ses sujets furent enchantés de la beauté d'Irolite, ils la prirent pour un astre qui venait éclairer leur séjour ; on servit un magnifique repas à Parcin-Parcinet et à la princesse. Le roi des Gnomes en fit les honneurs ; une musique fort harmonieuse, mais un peu barbare, fit le divertissement de la soirée, on y chanta les charmes d'Irolite, et ces vers furent répétés plusieurs fois :
Quel astre descend sous la terre
Pour embellir ce séjour ténébreux ?
Ne regardons point trop cette vive lumière
Qui séduit et charme les yeux ;
L'astre brillant qui nous éclaire,
Pour les cœurs est bien dangereux.
Après la musique, on conduisit le prince et la princesse, chacun dans une chambre magnifique ; Mana et le fidèle esclave les servirent. Le lendemain, on leur fit voir le palais du roi ; il dispose de tous les trésors que la terre enferme, on ne pouvait rien ajouter à ces richesses, c'était un amas confus de belles choses, mais l'art y manquait partout. Le prince et la princesse demeurèrent huit jours dans ce lieu souterrain, Favorable l'avait ainsi ordonné au roi des Gnomes ; pendant ce temps, on donna tous les jours à la princesse et à son amant des fêtes peu galantes, mais magnifiques ; la veille de leur départ, le roi, pour immortaliser la mémoire de leur séjour dans son empire, fit élever leurs statues aux deux côtés de son trône ; elles étaient d'or, et les piédestaux de marbre blanc. Ces paroles étaient écrites avec des lettres formées de diamants sur le piédestal de la statue du prince :
Nous ne désirons plus la vue du soleil ;
Nous avons vu ce prince,
Il est plus beau et plus brillant que lui.
Et sur le piédestal de la statue de la princesse étaient ces mots écrits de la même manière :
À la gloire immortelle
De la déesse de la beauté,
Elle est descendue ici-bas,
Sous les traits et le nom d'Irolite.
Le neuvième jour, on donna au prince les plus beaux chevaux du monde, leurs harnais étaient d'or, tout couverts de diamants ; il sortit de la sombre demeure des gnomes avec sa petite troupe, après avoir témoigné sa reconnaissance au roi ; il se retrouva dans la même campagne où Ormond l'avait attaqué, il regarda sa bague, et ne retrouva plus que l'argent et l'airain qui paraissaient. Il poursuivit son chemin avec la charmante Irolite, et ils se hâtaient d'arriver à la demeure de Favorable, où enfin ils devaient être en sûreté, quand tout d'un coup en sortant d'un vallon, ils rencontrèrent une troupe des gardes de Danamo qui continuaient à les chercher. Ils s'apprêtaient à fondre sur eux quand le prince fit promptement son souhait, et tout aussitôt il parut un grand espace couvert d'eau entre la troupe de Parcin-Parcinet et celle de la fée. Une belle nymphe à demi nue parut au milieu de l'eau dans un petit bateau de roseaux entrelacés. Elle s'approcha du rivage, pria le prince et sa belle maîtresse d'entrer dans le petit bateau ; Mana et l'esclave les y suivirent, leurs chevaux restèrent dans la campagne, et le petit bateau, s'enfonçant tout d'un coup dans l'eau, fit croire aux gardes de la fée qu'ils étaient péris en voulant se sauver de leurs mains.
Cependant ils se trouvèrent dans un palais dont les murs n'étaient que grandes nappes d'eau, qui tombant sans cesse également, formaient des salles, des chambres, des cabinets, et entouraient les jardins où mille jets d'eau de figure bizarre formaient le dessin des parterres. Il n'y avait que les naïades, dans l'empire desquels ils étaient, qui pussent habiter ce palais aussi beau qu'il était singulier ; pour donner donc une demeure plus solide au prince et à la belle Irolite, la naïade qui les conduisait les mena dans des grottes de coquillages où brillaient le corail, les perles et toutes les autres richesses de la mer. Les lits étaient de mousse, cent dauphins gardaient la grotte d'Irolite, et vingt baleines celle de Parcin-Parcinet. Les naïades admirèrent à leur retour la beauté d'Irolite, et plus d'un triton fut jaloux des regards et des soins qu'attirait le jeune prince ; on leur servit, dès qu'ils furent dans la grotte de la princesse, une collation' superbe de toutes sortes de fruits glacés ; douze sirènes vinrent charmer par leurs chants doux et gracieux les inquiétudes du jeune prince et de la belle Irolite, elles finirent leurs concerts par ces paroles :
En quelque lieu où l'Amour nous amène,
Ce dieu sait nous y rendre heureux ;
Parfaits amants, charmés de votre chaîne,
Jusques au fond des eaux faites briller vos feux ;
En quelque lieu où l'Amour nous amène,
Ce dieu sait nous y rendre heureux.
Le soir, il y eut un festin où l'on ne servit que des poissons, mais d'une grandeur extraordinaire et d'un goût exquis ; après le repas, les naïades dansèrent un ballet avec des habits d'écailles de poissons de différentes couleurs, qui faisaient le plus bel effet du monde ; les corps des tritons, et d'autres instruments inconnus aux mortels, composaient la symphonie, elle était bizarre, mais nouvelle et très agréable. Parcin-Parcinet et la belle Irolite furent quatre jours dans cet empire, Favorable l'avait ainsi ordonné ; le cinquième jour, les naïades vinrent en foule conduire le prince et la princesse ; les deux amants étaient dans un petit bateau, fait d'une seule coquille, et les naïades à moitié hors de l'eau les accompagnèrent jusqu'au bord d'une petite rivière, où Parcin-Parcinet retrouva ses chevaux, et se mit à marcher avec d'autant plus de diligence qu'il s'aperçut en regardant sa bague que l'argent en était disparu ; il n'y restait plus que l'airain, mais aussi étaient-ils fort près de la demeure tant désirée de Favorable.
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