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CONTE - Le Parfait Amour page 5
Ils marchèrent encore trois jours ; mais le quatrième, le soleil qui venait de se lever fit briller de loin à leurs yeux des armes, et quand ceux qui les portaient furent un peu approchés, ils les reconnurent pour le prince Ormond et sa troupe. Danamo les avait renvoyés pour les poursuivre, avec ordre de ne les point quitter s'ils les trouvaient, et de ne pas s'éloigner du lieu où il leur arriverait peut-être encore quelque chose d'extraordinaire, et surtout de tâcher d'engager Parcin-Parcinet au combat. Danamo avait bien jugé, après le récit d'Ormond, qu'une fée protégeait le prince et la princesse, mais elle était si savante qu'elle ne désespérait pas de la vaincre par des charmes plus forts que les siens. Ormond, ravi de revoir le prince et Irolite qu'ils cherchaient avec tant de peine et de soins, courut l'épée à la main à ParcinParcinet, pour tâcher de le combattre suivant les ordres qu'il avait reçus de Danamo. Le jeune prince tira aussi son sabre d'un air si fier qu'Ormond se repentit plus d'une fois de son entreprise ; mais Parcin-Parcinet qui aperçut Irolite tout en larmes, attendri par cette vue, forma son quatrième souhait, et tout aussitôt un grand feu qui s'éleva presque jusqu'aux nues sépara Parcin-Parcinet et son ennemi. Ce feu fit reculer Ormond et sa troupe.
Le jeune prince et Irolite, toujours suivis du fidèle esclave et de la sage Mana, se trouvèrent dans un palais dont la vue causa d'abord beaucoup de frayeur à la jeune Irolite. Il était tout de feu, mais elle fut bientôt rassurée quand elle s'aperçut qu'elle ne sentait point une chaleur plus ardente que celle du soleil, et que ce feu avait seulement le brillant et la flamme de celui qu'elle craignait, sans avoir toutes les autres qualités qui le rendent insupportable. Un grand nombre de jeunes et belles personnes, vêtues d'habits où paraissaient ondoyer des flammes, vinrent recevoir la princesse et son amant. Une d'entre elles, qu'ils jugèrent être la reine de ce lieu-là par les respects qui lui étaient rendus, leur dit : « Venez, charmante princesse, et vous, beau Parcin-Parcinet, vous êtes dans le royaume des salamandres, j'en suis la reine, et c'est avec plaisir que je me suis chargée de vous cacher sept jours dans mon palais, suivant les ordres de Favorable ; je voudrais seulement que votre séjour ici fût d'une plus longue durée. » Après ces mots, on les fit entrer dans un grand appartement tout de feu comme e reste du palais, et qui brillait d'une clarté plus vive que celle du soleil. Il y eut le soir chez la reine un grand souper délicat et bien entendu ; après le repas, on passa sur une terrasse pour voir un feu d'artifice d'une beauté merveilleuse et d'un dessin très singulier, qui était préparé dans une grande cour du palais des salamandres. Douze Amours étaient sur autant de colonnes de marbre de différentes couleurs ; six d'entre eux paraissaient prêts à tirer des flèches, et les six autres soutenaient un grand cartouche, où ces paroles étaient écrites en caractère de feu :
La belle Irolite en tous lieux
A la victoire pour partage ;
Quelque ardents que soient nos feux,
Celui qui brille dans ses yeux
Brûle mieux, et plaît davantage.
La jeune Irolite rougit de sa propre gloire, et Parcin-Parcinet était ravi qu'on la trouvât aussi belle qu'elle le paraissait à ses yeux. Cependant les Amours tirèrent des flèches de feu, qui se croisant en l'air, formèrent en mille endroits le chiffre et le beau nom d’Irolite, et l'élevèrent jusqu'au ciel. Les sept jours qu'elle demeura dans ce palais se passèrent en plaisirs. Parcin-Parcinet remarqua que tous les salamandres avaient de l'esprit et une vivacité charmante, et qu'ils étaient tous galants et amoureux ; la reine même ne leur parut pas exempte de cette passion pour un jeune salamandre d'une beauté merveilleuse. Le huitième jour, ils sortirent à regret d'un séjour si conforme à leur tendresse. Ils se trouvèrent dans une belle campagne, Parcin-Parcinet regarda sa bague, et trouva que sur ces quatre métaux mêlés ensemble, ces mots étaient gravés :
Vous avez souhaité trop tôt.
Ces paroles affligèrent le prince et la jeune princesse, mais ils étaient si près de la demeure de Favorable qu'ils espéraient y pouvoir arriver ce même jour. Cette pensée suspendit leur douleur, ils marchèrent en invoquant la fortune et l'amour, mais ce sont souvent des guides infidèles. Parcin-Parcinet était enfin près d'entrer sur les terres de Favorable ; mais Ormond, suivant les ordres de la fée, ne s'était point éloigné du lieu où le feu les avait séparés, il s'était campé derrière un bois, et des sentinelles qui faisaient une garde perpétuelle le vinrent avertir que le prince et la princesse venaient de reparaître dans la plaine. Il fit monter ses gens à cheval, et joignit sur le soir le malheureux prince et la divine Irolite ; Parcin-Parcinet ne s'effraya point du grand nombre de ceux qui l'attaquèrent tous à la fois. Il fut à eux avec une valeur qui les épouvanta. « J'accomplis mes promesses, belle Irolite, dit-il en tirant son sabre, je vais mourir pour vous, ou vous délivrer de vos ennemis. » Après ces mots, il frappa le premier qui se présenta devant lui, et l'abattit à ses pieds ; mais, ô douleur non attendue ! ce sabre merveilleux qu'il tenait de la fée se rompit en mille éclats. C'était là ce que Danamo attendait du combat du jeune prince ; quand elle donnait des armes, elle les charmait d'une manière particulière : dès que l'on s'en servait contre elle, le premier coup que l'on portait les faisait briser en mille pièces.
Parcin-Parcinet, désarmé, ne put résister longtemps, le nombre l'accabla ; on le prit, et on le chargea de chaînes, et la jeune Irolite eut le même destin. « Ah ! fée Favorable, s'écria tristement le prince, abandonnez-moi à toutes les rigueurs de Danamo, mais sauvez la belle Irolite. - Vous avez désobéi à la fée, lui répondit un jeune homme d'une beauté surprenante qui parut en l'air ; il faut que vous en portiez la peine ; si vous n'aviez pas prodigué le secours de Favorable aujourd'hui, nous vous aurions sauvé pour toujours des cruautés de Danamo. Tout l'empire des sylphes est affligé de n'avoir pas eu la gloire de rendre heureux un prince si charmant, et une si belle princesse. » Après ces paroles, il disparut, et Parcin-Parcinet gémit alors de son imprudence. Il paraissait insensible à ses propres malheurs, mais qu'il ressentait vivement ceux d'Irolite ! Le regret d'y avoir contribué l'aurait fait mourir de douleur, si le destin n'eût résolu de lui faire encore souffrir de plus cruelles peines. La jeune Irolite témoignait un courage digne de l'illustre sang dont elle était descendue, et l'impitoyable Ormond, loin de s'attendrir à un spectacle si touchant, tâchait encore à redoubler les malheurs qu'il leur causait. Il les faisait conduire séparément, et leur ôtait par ce moyen la triste douceur de se plaindre d'un mal sans remède.
Après un voyage si cruel, ils arrivèrent à la cour de la mauvaise fée, elle sentit une maligne joie en voyant ce prince et cette jeune princesse dans un état si digne de faire naître la pitié dans toute autre âme que la sienne. Azire en ressentit pour Parcin-Parcinet, mais elle n'osa le témoigner devant la fée. « Je vais donc, dit cette cruelle reine en s'adressant au jeune prince, avoir le plaisir de me venger de ton ingratitude ! Va, au lieu de monter sur le trône que ma bonté t'avait destiné, dans la prison de la mer, où je ferai finir ta malheureuse vie par des supplices affreux. - J'aime mieux la prison la plus cruelle, reprit ce prince en la regardant fièrement, que les faveurs d'une reine aussi injuste que toi. » Ces paroles irritèrent encore la fée, elle s'attendait à le voir humilié à ses pieds. Elle le fit conduire à la prison qu'elle lui avait destinée, Irolite pleura en le voyant partir, Azire ne put retenir ses soupirs, et toute la cour gémit en secret d'un ordre si impitoyable. Pour la belle Irolite, la reine la fit ramener dans ce château où elle avait demeuré si longtemps, la fit garder avec soin et traiter avec toute l'inhumanité dont elle était capable.
La prison où fut conduit le prince était une tour affreuse au milieu de la mer, bâtie dans une petite île déserte ; il y fut enfermé, chargé de fers, et l'on eut pour lui toutes les duretés imaginables. Quel séjour pour un prince digne de régner sur tout l'univers ! Le souvenir d'Irolite était sa seule occupation, il n'appelait Favorable qu'au secours de sa chère princesse, et il souhaitait, mille fois le jour, de mourir pour expier seul la faute qu'il avait faite. Son fidèle esclave avait été enfermé dans la même prison, mais il n'avait pas la satisfaction de servir son illustre maître, et Parcin-Parcinet n'avait auprès de lui que des soldats farouches dévoués à la fée, qui pourtant en lui obéissant respectaient malgré eux-mêmes le malheureux Parcin-Parcinet. Sa jeunesse, sa beauté, et surtout son courage les touchaient d'une admiration qui leur faisait regarder ce prince comme un homme fort au-dessus des autres. La sage Mana était traitée dans le château d'Irolite comme l'esclave du prince dans la prison de la mer. Les femmes de Danamo approchaient seules de la princesse, et par les ordres de la fée, l'accablaient à tout moment d'une nouvelle douleur par le récit des souffrances de Parcin-Parcinet. Les maux de ce prince faisaient oublier à Irolite le souvenir des siens, et tout renouvelait ses larmes dans un lieu où elle avait tant vu de fois ce prince charmant lui jurer une fidélité éternelle. « Hélas ! disait-elle en elle-même, que n'avez-vous été moins constant, mon cher prince ! Votre infidélité m'aurait coûté la vie ; mais qu'importe, vous vivr[i]ez heureux, après trois mois de souffrance. »
Danamo, qui avait passé ce temps à faire un charmé d'une force extraordinaire, envoya un matin à la belle Irolite deux lampes, l'une d'or et l'autre de cristal ; celle d'or était allumée, et Danamo lui fit ordonner de ne laisser jamais éteindre l'une des deux lampes ; mais elle lui fit dire qu'elle pourrait les allumer à son choix. Irolite répondit avec sa douceur naturelle qu'elle obéirait, sans chercher même à comprendre ce que signifiait le commandement de la fée. Elle porta soigneusement les deux lampes dans un cabinet ; celle d'or était allumée, elle ne l'éteignit point de tout ce jour-là, et le lendemain elle alluma l'autre, elle continua ainsi à obéir à la fée. Il y avait quinze jours qu'elle gardait les lampes, quand sa santé commença à devenir languissante ; elle ne douta pas un moment que sa douleur n'en fût la cause, et on lui apprit, pour redoubler ses maux, que Parcin-Parcinet était fort malade. Quelle nouvelle pour Irolite ! Sa vive douleur et son accablement attendrirent toutes les femmes qui étaient auprès d'elle.
Un soir qu'elles s'étaient toutes endormies, l'une d'entre elles s'approcha doucement de la princesse, et la voyant allumer la lampe de cristal : « Que faites-vous, grande princesse ? lui dit-elle. Éteignez cette fatale lumière, vos jours y sont attachés, sauvez une si belle vie des cruautés de Danamo. - Hélas ! reprit la triste Irolite d'un air languissant, elle a rendu ma vie si malheureuse que c'est une espèce de faveur à la fée, que de me donner le moyen de la finir ; mais, continua-t-elle un moment après, avec une émotion qui ramena de belles couleurs sur son visage, quelle vie menace la lampe d'or dont je prends le même soin d'entretenir la lumière ? - Les jours de ParcinParcinet », reprit la confidente de Danamo, car elle parlait par son ordre à la princesse ; la mauvaise fée la voulait tourmenter, en lui faisant apprendre qu'elle était cruelle, sa destinée. À cette nouvelle, la douleur d'avoir pris soin elle-même de terminer les jours de Parcin-Parcinet la fit demeurer longtemps sans connaissance ; elle revint, et reprenant ses sens, elle reprit aussi son désespoir : « Fée odieuse ! disait-elle quand elle avait la force de parler, fée barbare ! quoi ! ma mort ne suffisait pas à ta fureur ? Tu voulais encore, cruelle, faire périr par mes mains un prince qui m'est si cher, et qui est si digne de l'amour le plus parfait et le plus tendre ? Mais la mort mille fois plus douce que toi va bientôt me délivrer de tous les maux que ta rage t'a fait inventer contre une passion si violente et si fidèle. » La jeune princesse pleurait sans cesse sur la lampe fatale où étaient attachés les jours de Parcin-Parcinet, et n'allumait plus que la sienne, elle la regardait brûler avec joie, comme un sacrifice' qu'elle faisait à son amour et à son amant ; cependant ce malheureux prince était tourmenté par des supplices où tout son courage ne pouvait résister.
La fée lui avait fait dire par un des soldats qui le gardait dans sa prison, et qui feignit d'être sensible aux douleurs de cet illustre prince, qu'Irolite avait consenti à épouser le prince Ormond, peu de jours après qu'il eut été conduit dans l'affreuse prison où il gémissait ; encore, que cette princesse avait paru contente après son mariage, qu'elle s'était trouvée à toutes les fêtes que l'on avait faites pour le célébrer, et qu'enfin elle était partie avec son époux ; c'était là le seul malheur où le prince ne s'attendait pas, et c'était aussi le seul qui pût être plus fort que sa constance. « Quoi ! ma chère Irolite, vous m'êtes infidèle, disait ce triste prince, et vous l'êtes pour Ormond ! Vous n'avez pas seulement plaint mes malheurs ? Vous n'avez songé qu'à finir ceux que vous causait ma tendresse ? Vivez heureuse, ingrate Irolite ; je vous adore, tout inconstante que vous êtes, et je veux mourir pour mon amour, puisque vous n'avez pas voulu que j'eusse la gloire de mourir pour ma princesse. »
Tandis que l'infortuné Parcin-Parcinet s'affligeait ainsi, et que la tendre Irolite donnait sa vie pour prolonger celle de son amant, Danamo fut touchée du désespoir d'Azire, elle mourait de douleur des maux de Parcin-Parcinet ; enfin la cruelle fée, qui vit bien que pour sauver la vie de sa fille il fallait pardonner à ce prince, lui permit de l'aller voir, et de lui promettre tous les biens qu'il avait autrefois espérés pourvu qu'il la voulût épouser, et la fée résolut de faire mourir Irolite dès que le prince aurait accepté ces propositions ; l'espérance de revoir Parcin-Parcinet rendit la vie à la triste Azire, et la reine lui permit d'envoyer au château d'Irolite reprendre la lampe d'or qu'elle voulait garder pour être plus assurée qu'on ne l'allumerait pas ; cet ordre parut plus cruel que tous les autres à l'affligée Irolite. Que d'inquiétude pour la vie de Parcin-Parcinet ! « Soyez moins en peine de la fortune de ce prince, lui dirent les femmes qui étaient auprès d'elle, il va épouser la princesse Azire, et c'est elle qui, soigneuse de sa vie, vient d'envoyer chercher la lampe où ses jours sont attachés. » Le tourment de la jalousie manquait aux malheurs de l'infortunée Irolite ; après ces mots, elle le sentit naître dans son cœur ; cependant Azire fut voir le prince, et lui offrit son hymen et ses royaumes ; puis feignant d'ignorer qu'il avait appris qu'Irolite avait épousé Ormond, elle le voulut convaincre par cet exemple qu'il avait poussé la constance trop loin. Parcin-Parcinet, à qui rien n'était précieux sans la charmante Irolite, préféra sa prison et ses malheurs à la liberté et aux empires ; Azire fut désespérée de ces refus, et sa douleur la rendait aussi malheureuse que lui.
Pendant ce temps-là, la fée Favorable, qui jusqu'alors avait fait gloire de l'insensibilité de son cœur, ne put résister aux charmes d'un jeune prince qui brillait alors dans sa cour ; il prit de l'amour pour elle ; Favorable ne pouvait se résoudre à lui laisser entendre que la fierté de son âme s'était laissée vaincre à ses soins ; enfin elle céda au désir de ne lui laisser plus ignorer son triomphe. Le plaisir de parler à ce qu'on aime lui parut alors un plaisir si charmant, et si digne d'être souhaité, qu'approuvant la faute qu'elle avait tant blâmée, elle vint en diligence au secours de Parcin-Parcinet et de la belle Irolite.
Un peu plus tard, il n'eût plus été temps de les secourir ; la lampe fatale d'Irolite devait finir dans six jours, et la douleur du malheureux Parcin-Parcinet était prête à terminer sa vie ; Favorable arriva dans le palais de Danamo, sa puissance était bien au-dessus de la sienne, elle se fit obéir malgré la colère de la méchante fée ; le prince fut retiré de sa prison, il n'en sortit qu'après avoir été assuré par Favorable que la belle Irolite pouvait encore être à lui. Il parut malgré sa pâleur plus beau que le jour qu'il venait de revoir ; il fut avec la fée Favorable au château de sa princesse, la lampe ne jetait plus qu'une faible lueur, et la mourante Irolite ne voulut consentir à la laisser éteindre qu'après avoir été assurée de la fidélité de son heureux amant.
Il n'est point d'expression assez vive et assez tendre pour exprimer la joie parfaite qu'ils sentirent à se revoir ; Favorable leur fit reprendre en un moment tous leurs charmes, les doua d'une longue vie et d'un bonheur constant ; mais pour leur tendresse, elle ne trouva rien à y ajouter. Danamo, furieuse de voir son autorité renversée, se tua de sa propre main. Le sort d'Azire et celui d'Ormond furent remis par le prince entre les mains d'Irolite, elle ne s'en voulut venger qu'en les unissant ensemble pour toujours ; et Parcin-Parcinet, aussi généreux que fidèle, ne voulut reprendre que le royaume de son père, et laissa régner Azire dans ceux de Danamo. La noce du prince et de la divine Irolite se fit avec une magnificence infinie, et après avoir témoigné leur reconnaissance à Favorable, et comblé de bienfaits l'esclave et la sage Mana, ils partirent pour leur royaume, où le prince et l'aimable Irolite jouirent du rare bonheur de brûler toujours d'un amour aussi tendre et aussi constant dans une fortune tranquille, que pendant leurs malheurs il avait été ardent et fidèle.
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