• Par La Comtesse de Murat

      

    Il y eut autrefois une savante fée qui voulut résister à l'Amour ; mais ce petit dieu était encore plus savant qu'elle : il la rendit sensible, sans même employer tout son pouvoir. Un beau chevalier arriva dans la cour de la fée en cherchant des aventures ; il était aimable, fils de roi, et fameux par mille belles actions ; sa valeur était connue de la fée, la renommée en avait porté le bruit jusque dans ce royaume.

    La personne de ce jeune prince répondait si bien à sa haute réputation que la fée, touchée de tant de charmes, reçut en peu de temps les voeux que le beau chevalier lui offrit. La fée était belle ; il en était véritablement amoureux. Elle l'épousa, et le rendit par son hymen le plus riche et le plus puissant roi de l'univers. Ils furent longtemps heureux, après s'être unis pour toujours.

    La fée vieillit, et le roi son époux, quoiqu'il eût vieilli comme elle, cessa de l'aimer dès qu'elle ne fut plus belle. Il s'attacha à de jeunes beautés de sa cour ; la fée en sentit une jalousie qui devint funeste à plusieurs de ses rivales.

    Elle n'avait eu qu'une fille de son mariage avec le beau chevalier ; c'était l'objet de toute sa tendresse, et elle était digne de l'attachement qu'elle avait pour elle. Les fées ses parentes l'avaient douée à sa naissance de l'esprit le plus charmant, de la beauté la plus aimable, des grâces encore plus touchantes que la beauté. Elle dansait au-dessus de tout ce qu'on a jamais vu, et sa voix enlevait tous les coeurs. Sa taille était parfaitement belle, sans être des plus grandes ; son air était noble ; ses cheveux du plus beau noir du monde ; sa bouche petite et gracieuse, ses dents d'une blancheur surprenante ; ses beaux yeux étaient noirs, vifs et touchants ; et jamais des regards si perçants et si tendres n'ont fait naître l'amour dans les ceeurs. La fée l'avait nommée Jeune et Belle ; elle ne lui avait point encore fait de dons ; elle avait suspendu cette faveur, pour juger mieux dans la suite par quelle espèce de bonheur elle pourrait assurer celui d'une fille qui lui était si chère.

    Les infidélités du roi affligeaient sans cesse la fée ; le malheur de n'être plus aimée lui fit imaginer que le plus doux des biens était d'être toujours aimable. Ce fut, après mille réflexions, la félicité dont elle doua Jeune et Belle. Elle avait alors seize ans ; la fée employa toute sa science pour la faire demeurer toujours telle qu'elle était alors. Que pouvait-elle donner de plus précieux à Jeune et Belle, que le bonheur de ne jamais cesser d'être semblable à elle-même ?

    La fée perdit le roi son époux ; et quoiqu'il fût dès longtemps infidèle, sa mort lui fit sentir une si véritable douleur qu'elle résolut d'abandonner son empire, et de se retirer dans un château qu'elle avait fait bâtir en un pays très désert ; il était entouré d'une forêt si vaste que la fée seule en pouvait démêler les chemins.

    Cette résolution affligea Jeune et Belle ; elle ne voulait point quitter la fée, mais elle lui ordonna absolument de demeurer ; et avant que de se retirer dans son désert, rappelant dans le plus beau palais du monde les plaisirs et les jeux qu'elle en avait depuis longtemps exilés, elle en composa la cour de Jeune et Belle, qui dans cette agréable compagnie se consola quelque temps après de l'absence de la fée. Tous les princes et les rois qui se croyaient dignes de plaire (et l'on se flattait beaucoup moins alors qu'en ce temps-ci) vinrent en foule à la cour de Jeune et Belle essayer, par leurs soins et par leur amour, de rendre sensible une si aimable princesse.

    Jamais rien n'a égalé la magnificence et les agréments du palais de Jeune et Belle : tous les jours y étaient marqués par des fêtes nouvelles ; tout le monde y était heureux, excepté ses amants qui l'adoraient sans espérance ; aucun n'était regardé favorablement, mais ils la voyaient sans cesse, et ses regards les plus indifférents étaient dignes de les arrêter pour toujours.

    Un jour, Jeune et Belle, satisfaite de sa félicité et de la douceur de son règne, se promenait dans un bois charmant, suivie seulement de quelques-unes de ses nymphes, pour mieux goûter le plaisir de la solitude. Une douce rêverie l'entretenait ; que pouvait-elle penser qui ne lui fût agréable ? Elle sortit du bois insensiblement, et tourna ses pas vers une prairie délicieuse, émaillée de mille fleurs. Ses beaux yeux étaient occupés par cent objets différents et agréables, quand elle aperçut un troupeau qui paissait dans la prairie au bord d'un petit ruisseau, qui roulant sur des cailloux, formait par ses eaux un doux murmure. Il était ombragé d'une touffe d'arbres ; un jeune berger couché sur l'herbe dormait tranquillement au bord du ruisseau ; sa houlette était appuyée contre un arbre, et un joli chien, qui paraissait plutôt favori de son maître que gardien du troupeau, était couché près du berger.

    Jeune et Belle s'approcha du ruisseau, et jeta ses regards sur le berger : quelle vue ! L'Amour lui-même, dormant entre les bras de Psyché, ne brillait pas de plus de charmes. La jeune fée s'arrêta, et ne put se défendre de quelques mouvements d'admiration, qui furent bientôt suivis de sentiments plus tendres. Le beau berger paraissait dix-huit ans ; il était d'une taille avantageuse ; ses cheveux bruns, naturellement frisés par grosses boucles, accompagnaient parfaitement le plus aimable visage du monde. Ses yeux, que le sommeil tenait alors fermés, cachaient à la fée de nouveaux feux, dont l'amour voulait se servir encore pour redoubler sa tendresse pour le berger. Jeune et Belle sentit une émotion inconnue à son cœur, et il ne lui fut plus possible de s'éloigner de ce lieu. Les fées ont les mêmes privilèges que les déesses : elles aiment un berger quand il est aimable, comme s'il était le plus grand roi de l'univers ; car tout est au-dessous d'elles.

    Jeune et Belle trouva trop de plaisir dans ses sentiments pour chercher à les combattre. Elle aima tendrement, et ne songea plus dès ce moment qu'au bonheur d'être aimée ; elle n'osa réveiller le beau berger, de peur de lui laisser remarquer son trouble ; et se faisant un plaisir de lui découvrir son amour d'une manière galante et agréable, elle se rendit invisible, pour jouir de l'étonnement qu'elle lui allait causer.

    Aussitôt une musique charmante se fit entendre. Quelle symphonie ! Elle allait au cœur. Ces sons gracieux réveillèrent Alidor, c'était le nom du beau berger ; il crut quelques moments que c'était un songe agréable. Mais quelle fut sa surprise, quand en se levant de dessus le gazon où il était couché, il se trouva vêtu d'un habit galant et magnifique ! Il était jaune, gris de lin et argent ; sa panetière était toute brodée des chiffres3 de Jeune et Belle, et attachée avec une écharpe de fleurs ; sa houlette était d'un travail merveilleux, ornée de pierres précieuses de différentes couleurs, qui formaient des devises galantes ; son chapeau était de jonquilles et de hyacinthes bleues, entrelacées avec beaucoup d'art. Content et surpris de sa nouvelle parure, il se mira dans le ruisseau prochain ; et Jeune et Belle craignit cent fois pour lui, dans ce moment, la destinée du beau Narcisse.

    La surprise d'Alidor augmenta encore, en voyant ses moutons chargés d'une soie plus blanche que la neige, au lieu de leur toison ordinaire, et couverts de mille nœuds de rubans de différentes couleurs. Sa brebis la plus chérie était aussi plus parée que les autres ; elle vint à lui en bondissant sur l'herbe, paraissant fière de son ajustement. Le joli chien du berger avait un collier d'or, où de petites émeraudes enchâssées formaient ces quatre vers :

    Lorsque l'on veut brûler d'une ardeur immortelle,

    Qu'un tendre cœur est alarmé !

    Être charmant suffit pour être aimé ;

    Mais pour le rendre heureux, il faut être fidèle.

    Le beau berger jugea par ces vers que c'était à l'Amour qu'il devait son agréable aventure. Le soleil était couché alors. Alidor, occupé d'une aimable rêverie, reprit le chemin de sa cabane ; il n'y remarqua nul changement au dehors, mais à peine y fut-il entré qu'une odeur délicieuse lui annonça quelque chose de nouveau. Il trouva sa petite cabane tapissée d'un tissu de jasmin et de fleurs d'orange ; les rideaux de son lit étaient de la même espèce, relevés par des guirlandes d'œillets et de roses ; une fraîcheur agréable entretenait ces fleurs dans toute leur beauté. Le parquet était de porcelaine, sur lequel on voyait représentées toutes les histoires des déesses qui avaient aimé des bergers. Alidor le remarqua, il avait beaucoup d'esprit ; les bergers de cette contrée n'étaient pas des bergers ordinaires. Quelques-uns d'entre eux descendaient ou de rois, ou de grands princes ; et Alidor tirait son origine d'un souverain qui avait longtemps


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  • On était occupé de sa magnificence, quand Atimir parut : il montait un cheval tout noir, qui paraissait ardent et superbe. La couleur que portait ce jour-là ce prince était la feuille-morte ; il n'y avait mêlé ni or, ni argent, ni pierreries ; il avait sur son casque un bouquet de plumes couleur de rose ; et quoiqu'il eût affecté une grande négligence dans sa parure, il était de si bonne mine, il montait son cheval avec tant de grâce, et il avait l'air si fier qu'on cessa, dès qu'il fut entré, de regarder tout autre chose. Sur son écu, qu'il portait lui-même, paraissait un Amour qui foulait des chaînes sous ses pieds, et qui s'en attachait d'autres fort pesantes ; autour étaient ces paroles :

    Seules dignes de moi.

    La troupe d’Atimir était vêtue de feuille-morte et argent, et l'on y avait prodigué les pierreries ; elle était composée des principaux de sa cour ; et quelque bien faits qu'ils fussent, il était aisé de juger à l'air d'Atimir qu'il était né pour leur commander.

    On ne saurait exprimer les divers mouvements que produisit la vue d'Atimir dans le cœur d'Hébé et dans celui d'Ilérie, et la cruelle jalousie que sentit le prince de l'île Paisible, quand il vit flotter sur le casque d'Atimir des plumés de la même couleur que les siennes ; la lecture de sa devise acheva de lui inspirer une fureur, dont il ne suspendit alors les effets que pour choisir mieux le temps de la faire sentir à son rival. Le roi et la reine remarquèrent facilement l'audace et l'imprudence d’Atimir ; ils en eurent une extrême colère, mais il n'était pas temps de la témoigner.

    On commença les courses au bruit de mille trompettes qui retentissaient dans les airs : elles furent fort belles ; tous ces jeunes chevaliers y firent paraître leur adresse. Le prince de l'île Paisible, quoique occupé d'une furieuse jalousie, y signala la sienne et demeura vainqueur. Atimir, qui savait que le premier prix des courses devait être donné par Ilérie, ne se présenta point pour disputer la victoire au prince de l'île Paisible. Les juges du camp le déclarèrent vainqueur ; et au bruit des acclamations et des louanges de tous les spectateurs, il s'avança de la meilleure grâce du monde au lieu où étaient le roi et les princesses, pour recevoir le bracelet de diamants. La princesse Ilérie le lui présenta ; il le reçut respectueusement ; puis ayant salué le roi, la reine et les princesses, il retourna se remettre sur les rangs. La triste Ilérie avait trop bien remarqué le mépris que le léger Atimir avait fait d'un prix qui devait être donné de sa main, elle en soupira douloureusement ; et la belle Hébé en sentit une secrète joie, dont toute sa raison ne put défendre son cœur.

    On recommença de nouvelles courses : elles eurent un même succès que les premières. Le prince de l'île Paisible, animé par la vue d'Hébé, y fit des merveilles, et fut vainqueur pour la seconde fois ; mais Atimir, ennuyé d'être spectateur de la gloire de son rival, et flatté de la pensée de recevoir un prix de la main d'Hébé, alla se présenter au bout de la lice. Ces rivaux se regardèrent fièrement ; et cette course entre deux si grands princes fut célébrée par les cris des spectateurs, et par le trouble nouveau qu'elle inspira aux princesses. Les princes coururent l'un contre l'autre avec un égal avantage ; ils brisèrent leurs lances sans en être ébranlés. Les applaudissements redoublèrent ; et les princes, sans donner le temps à leurs chevaux de reprendre haleine, retournèrent au bout de la carrière. Ils reprirent de nouvelles lances, et coururent avec le même bonheur et la même adresse que la première fois.

    Le roi, qui craignait de voir décider par la fortune un vainqueur entre ces deux rivaux, pour ne pas faire un illustre mécontent, envoya promptement dire de sa part aux princes qu'ils devaient se contenter de la gloire qu'ils avaient acquise, et les prier de terminer les courses de cette journée par la dernière qu'ils venaient de faire. Celui que le roi leur envoyait s'étant approché d'eux, ils écoutèrent sa commission avec assez d'impatience ; surtout Atimir, qui prenant le premier la parole : « Allez dire au roi, lui dit-il, que je serais indigne de l'honneur qu'il me fait de prendre part à ma gloire, si je pouvais souffrir un vainqueur. - Voyons, reprit le prince de l'île Paisible en poussant son cheval avec ardeur, qui mérite le mieux l'estime du roi et les faveurs de la fortune. »

    Celui que le roi avait envoyé n'était pas encore retourné auprès de lui, que les deux rivaux, animés par des sentiments plus forts que le désir de remporter le prix de la course, avaient déjà fourni leur carrière. La fortune favorisa l'audacieux Atimir, il fut vainqueur. Le cheval du prince de l'île Paisible, las de tant de belles courses qu'il avait faites, se renversa et fit tomber son maître sur le sable. Quelle joie pour Atimir, et quelle rage pour le malheureux prince de l'île Paisible ! Il se releva promptement, et s'approchant de son rival avant qu'on fût arrivé à eux : « Tu m'as vaincu dans des jeux, Atimir, lui dit-il d'un air qui marquait assez sa colère ; mais c'est avec l'épée que je veux décider tous nos différends. - J'y consens, reprit le fier Atimir ; je t'attendrai demain au lever du soleil, dans le bois qui termine les jardins du palais. » Les juges du camp les joignirent comme ils finissaient ces paroles ; et ils dissimulèrent mutuellement leur colère, de peur que le roi ne s'opposât à leur dessein.

    Le prince de l'île Paisible remonta à cheval, et le poussa à toute bride pour s'éloigner du lieu fatal où Atimir venait de le vaincre. Cependant, ce prince alla recevoir le prix de la course de la main d'Hébé, qui le lui présenta avec un embarras qui marquait assez les divers mouvements de son âme ; et Atimir fit, en le recevant, toutes les extravagances d'un homme fort amoureux. Le roi et la reine, qui avaient les yeux attachés sur lui, le remarquèrent ; et mécontents de la fin de cette journée, retournèrent au palais. Atimir, occupé de sa passion, sortit de la lice, sans vouloir être accompagné d'aucun des siens ; et Ilérie, outrée de douleur et de jalousie, retourna à son appartement.

    Quels étaient alors les sentiments d'Hébé ! « Il faut partir, disait-elle en elle-même ; quel autre remède pourrait-on trouver aux maux que je sens et à ceux que je prévois ? » Cependant, le roi et la reine résolurent de prier Atimir de se retirer dans son royaume, pour éviter les nouveaux troubles que leur pouvait causer son amour ; ils résolurent aussi de faire la même proposition au prince de l'île Paisible, pour ne point marquer de préférence entre ces deux princes.

    Mais, ô prudence trop tardive ! tandis que l'on délibérait du départ des deux princes, ils se disposaient au combat.

    Cependant Hébé, en revenant des courses, demanda d'abord où était le prince de l'île Paisible. On lui dit qu'il était dans le jardin du palais, qu'il avait voulu y demeurer seul, et qu'il paraissait fort triste. La belle Hébé crut qu'il était de son devoir d'aller le consoler de la petite disgrâce qui lui était arrivée ; ainsi, sans s'arrêter dans son appartement, elle descendit dans les jardins, suivie seulement de quelques-unes de ses femmes. Elle commençait à chercher le prince de l'île Paisible, quand en entrant dans une allée couverte, elle aperçut l'amoureux Atimir, qui transporté de sa passion, et n'écoutant plus que ce qu'elle lui inspirait, se jeta à genoux à quelques pas de la princesse ; et tirant l'épée qu'il avait reçue ce jour-là de sa main : « Ou écoutez-moi, belle Hébé, lui dit-il, ou laissez-moi mourir à vos pieds. »

    Les femmes d'Hébé, effrayées de l'action du prince, se jetèrent sur lui pour tâcher de lui ôter son épée qu'il tournait déjà contre lui-même avec beaucoup de fureur. Hébé, la malheureuse Hébé, voulait fuir ; mais que de raisons pour s'arrêter près de ce qu'on aime ! Le désir de calmer le bruit que pouvait faire cette aventure, le dessein de prier Atimir de chercher à se guérir d'une passion qui leur était si funeste, la pitié que fait naître un objet si touchant, tout enfin arrêta la princesse.

    Elle s'approcha du prince. La présence d'Hébé suspendit sa fureur ; il laissa tomber son épée aux pieds de la princesse. Jamais tant de trouble, tant d'amour et tant de douleur n'ont paru dans une conversation d'un quart d'heure. Il n'est point de termes assez tendres pour exprimer ce que sentirent alors ces malheureux amants. Hébé, inquiète de se voir avec Atimir, et si près du prince de l'île Paisible, fit un grand effort sur elle-même pour quitter Atimir ; et elle le quitta, en lui ordonnant de ne la revoir de sa vie. Quel ordre pour Atimir ! Sans le souvenir du combat qu'il devait faire contre le prince de l'île Paisible, il aurait cent fois tourné son épée contre lui-même ; mais il voulait périr en se vengeant de son rival.

    Cependant la belle Hébé se retira dans son appartement pour éviter plus sûrement la présence d'Atimir. « Impitoyable fée, s'écria-t-elle, tu ne m'avais prédit que la mort, si je revoyais ce malheureux prince ; et les maux que je sens sont bien plus cruels que la perte de la vie. » Hébé envoya chercher le prince de l'île Paisible dans les jardins et dans tout le palais, et on ne le trouva point ; elle en eut une extrême inquiétude ; on le chercha toute la nuit, mais inutilement, car il s'était caché dans une petit maison rustique au milieu d'un bois, pour être plus sûr que personne ne l'empêcherait de se trouver au lieu destiné pour le combat. Il s'y rendit au lever du soleil, et Atimir y arriva peu de moments après.

    Ces deux rivaux, impatients de se venger et de remporter la victoire, tirèrent leurs épées. C'était pour la première fois que le prince de l'île Paisible se servait de la sienne, car il n'y avait jamais de guerre dans son île. Il n'en parut pas un ennemi moins redoutable à Atimir ; il avait peu d'expérience, mais beaucoup de valeur et beaucoup d'amour, il combattit en homme qui méprisait sa vie ; et Atimir soutint dignement dans ce combat la haute réputation qu'il avait acquise. Ces princes étaient animés de trop de différentes passions, pour que la fin de leur combat ne leur fût pas funeste. Après avoir conservé longtemps un égal avantage, ils se portèrent deux coups si furieux que l'un et l'autre tombèrent sur l'herbe, qui fut bientôt toute rouge de leur sang. Le prince de l'île Paisible s'évanouit par la perte du sien ; et Atimir mortellement blessé prononça le nom d'Hébé en expirant pour elle.

    Une partie de ceux qui cherchaient le prince de l'île Paisible arrivèrent en ce lieu, et furent saisis de frayeur à la vue de ce cruel spectacle. La princesse Hébé, entraînée par son inquiétude, venait de descendre dans les jardins ; elle courut où elle entendit les cris de ses gens, qui prononçaient confusément les noms des deux princes, et trouva ces objets si funestes et si touchants. Elle crut que le prince de l'île Paisible était mort, comme Atimir ; et en ce moment, ils ne paraissaient point différents l'un de l'autre. Après avoir jeté quelques regards sur ces malheureux princes : « Précieuses vies qui venez d'être sacrifiées pour moi, s'écria douloureusement Hébé, je vais vous venger par la perte de la mienne ! » Après ces mots, elle se jeta sur l'épée fatale qu'Atimir avait reçue d'elle ; et elle s'en perça le sein, avant que ses gens, étonnés de cette cruelle aventure, se fussent mis en devoir de l'en empêcher.

    Elle expira, et la fée Anguillette, touchée de tant de malheurs où elle avait opposé autant d'obstacles que sa science lui avait permis, parut au lieu où venaient de se terminer ces belles vies. La fée accusa le destin, et ne put s'empêcher de verser des larmes ; alors songeant à secourir le prince de l'île Paisible, qu'elle savait bien qui n'était pas mort, elle le guérit de sa blessure, et le fit transporter en un moment dans son île, où par le don merveilleux qu'elle y avait attaché, ce prince se consola de la perte qu'il venait de faire, et oublia la passion qu'il avait eue pour Hébé.

    Le roi et la reine, qui n'eurent pas un semblable secours, se livrèrent tout entiers à leur douleur, et le temps seul put les consoler. Pour Ilérie, rien ne peut exprimer son désespoir ; elle fut toujours fidèle à sa douleur, et au souvenir de l'ingrat Atimir.

    Cependant Anguillette, ayant fait transporter le prince de l'île Paisible dans son royaume, toucha avec sa baguette les restes infortunés de l'aimable Atimir et de la belle Hébé ; dans l'instant même ils se changèrent en deux arbres d'une beauté parfaite. La fée les nomma Charmes, pour conserver à jamais la mémoire de ceux qu'on avait vus briller dans ces malheureux amants.

     

     

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  • Le prince de l'île Paisible conduisit Hébé dans une grotte extrêmement ornée, et embellie de jets d'eau merveilleux. Le fond de la grotte était obscur ; il y avait un grand nombre de niches remplies de statues, qui représentaient des nymphes et des bergers, mais on les distinguait peu. Dès que la princesse eut été quelques moments dans la grotte, elle entendit un bruit agréable d'instruments ; une illumination fort brillante, qui parut tout d'un coup, fit voir à la princesse qu'une partie des statues formait ce concert ; et les autres vinrent danser devant elle un ballet très galant et très bien entendu. Il fut mêlé de chansons tendres et agréables. On avait ainsi fait placer tous les acteurs de ce divertissement au fond de la grotte, pour surprendre plus agréablement la princesse. Après le ballet, des sauvages vinrent servir une superbe collation sous un berceau de jasmins et de fleurs d'oranges.

    La fête venait de finir, quand tout d'un coup la fée Anguillette parut en l'air, sur un char attelé de quatre cygnes. Elle descendit, et annonça au prince de l'île Paisible un bonheur charmant, en lui apprenant qu'elle voulait qu'il devînt l'époux d'Hébé, et que cette belle princesse lui avait promis d'y consentir. Le prince, transporté de joie, douta d'abord à qui il devait ses premiers remerciements, d'Hébé ou d'Anguillette ; et quoique la joie ne fasse pas dire des choses aussi touchantes que la douleur, il s'en acquitta pourtant avec beaucoup d'esprit et de grâce. La fée voulut bien ne plus quitter le prince et la princesse jusqu'au jour destiné pour leur mariage. Ce devait être dans trois jours ; elle fit des présents superbes à la belle Hébé et au prince de l'île Paisible ; et enfin, le jour qu'elle avait marqué, ils se rendirent, suivis de toute la cour et d'un nombre infini des habitants de cette île, dans le temple de l'hymen.

    Il n'était formé que de branches d'oliviers et de palmes entrelacées ensemble, et qui par le pouvoir de la fée ne se flétrissaient jamais. L'hymen y était représenté par une statue de marbre blanc, couronnée de roses ; il était élevé sur un autel orné seulement de fleurs, et appuyé sur un petit Amour d'une beauté charmante, qui avec un air riant lui présentait une couronne de myrte. Anguillette, qui avait bâti ce temple, voulut que tout y fût simple, pour marquer que l'amour seul pourrait rendre l'hymen heureux. La difficulté n'est que de les unir ensemble ; comme c'est un miracle digne d'une fée, elle les avait joints pour toujours dans l'île Paisible ; et contre la coutume des autres royaumes, on y pouvait être époux, amoureux et constant.

    Dans ce temple de l'hymen, la belle Hébé, conduite par Anguillette, donna sa foi au prince de l'île Paisible, et reçut la sienne avec plaisir. Elle n'avait pas pour lui ce penchant involontaire qu'elle avait senti pour Atimir ; mais son cœur, pour lors exempt de passion, recevait cet époux par l'ordre de la fée, comme un prince digne d'elle par sa personne, et encore plus par son amour. Cet hymen fut célébré par mille fêtes galantes, et Hébé se trouva heureuse avec un prince qui l'adorait.

    Cependant le roi, père d'Hébé, avait reçu des ambassadeurs de la part d'Atimir : il lui demandait la permission d'épouser Ilérie ; le roi, père d'Atimir, était mort ; il était maître absolu dans son royaume, on lui accorda avec joie cette princesse qu'il avait enlevée. Après ce mariage, la reine Ilérie demanda au roi son père et à la reine sa mère, par de nouveaux ambassadeurs, de venir elle-même à leur cour, les prier de lui pardonner une faute que l'amour lui avait fait faire, et que le mérite d'Atimir devait excuser. Le roi le lui permit, et Atimir y vint avec elle ; mille plaisirs marquèrent le jour de leur arrivée. Peu après, la belle Hébé et son charmant époux envoyèrent aussi des ambassadeurs au roi et à la reine, pour leur faire part de la nouvelle de leur mariage ; Anguillette les avait déjà prévenus, mais ils n'en furent pas reçus avec moins de plaisir et de magnificence. Atimir était chez le roi, quand ils s'y présentèrent pour la première fois ; l'aimable idée d'Hébé ne pouvait jamais s'effacer absolument d'un cœur où elle avait régné avec tant d'empire ; Atimir soupira malgré lui au récit du bonheur du prince de l'île Paisible ; il accusa même Hébé d'être inconstante, sans penser combien il lui avait donné de raisons de le devenir.

    Les ambassadeurs du prince de l'île Paisible s'en retournèrent, comblés d'honneurs et de présents ; ils apprirent à leur prince et à leur princesse combien le roi et la reine avaient témoigné de joie de leur heureux mariage. Mais, ô récit trop sincère ! ils dirent à Hébé que la princesse Ilérie et Atimir étaient à la cour. Ces noms si dangereux pour son repos lui redonnèrent de l'inquiétude ; elle était heureuse, mais les mortels peuvent-ils conserver un bonheur constant ?

    Elle ne put résister à l'impatience qu'elle sentit de retourner à la cour du roi son père ; ce n'était, disait-elle, que pour le revoir, et la reine sa mère ; elle le croyait même ; et combien de fois, quand on aime, se trompe-t-on sur ses propres sentiments ! Malgré les menaces de la fée pour l'obliger à fuir les lieux où elle pourrait revoir Atimir, elle proposa ce voyage au prince de l'île Paisible. D'abord il le refusa ; Anguillette lui avait défendu de laisser sortir Hébé de son royaume. Elle continua de le prier ; il l'adorait, il ignorait la passion qu'elle avait eue pour Atimir ; peut-on refuser quelque chose à ce qu'on aime ? Il crut plaire à la belle Hébé par son aveugle complaisance : il donna ses ordres pour son départ ; et jamais on n'a vu tant de magnificence que celle qui parut dans son équipage' et sur ses vaisseaux. La sage Anguillette, indignée du peu de respect qu'Hébé et le prince de l'île Paisible avaient pour ses ordres, les abandonna à leur destinée, et ne parut point leur donner de ses sages conseils, dont ils avaient si peu profité.

    Le prince et la princesse s'embarquèrent ; et après une navigation fort heureuse, ils arrivèrent à la cour du roi, père d'Hébé. La joie de revoir cette belle princesse fut très sensible au roi et à la reine ; ils furent charmés du prince de l'île Paisible, on célébra leur arrivée par mille fêtes dans tout le royaume ; mais Ilérie frémit en apprenant le retour d'Hébé ; il fut arrêté qu'elles se reverraient, et qu'on ne ferait nulle mention de tout ce qui s'était passé.

    Atimir demanda à revoir Hébé, il parut même à Ilérie qu'il le désirait avec un peu trop d'empressement. La princesse Hébé rougit quand il entra dans sa chambre, et ils furent l'un et l'autre dans un embarras dont tout leur esprit ne les put tirer. Le roi, qui était présent, le remarqua ; il se mêla dans leur conversation ; et pour rendre cette visite plus courte, il proposa à la princesse de descendre dans les jardins du palais. Atimir n'osa donner la main à Hébé, il la salua respectueusement, et se retira. Mais quelles idées et quels sentiments n'emporta-t-il pas dans son cœur ! Toute cette passion si vive et si tendre qu'il avait sentie pour Hébé se ralluma dans un moment ; il haït Ilérie, il se haït lui-même ; jamais infidélité ne fut suivie de tant de repentirs, ni de tant de douleur.

    Le soir, il fut chez la reine ; la princesse Hébé y était, il n'eut d'attention que pour elle, il chercha avec beaucoup de soin à lui parler ; elle l'évita toujours, mais ses regards lui en firent trop entendre pour son repos ; il continua quelque temps à lui marquer, par toutes ses actions, que ses yeux avaient repris sur lui leur premier empire. Le cœur d'Hébé en fut alarmé, Atimir lui paraissait toujours trop aimable ; elle se résolut de le fuir avec autant de soin qu'il en prenait de la chercher, elle ne lui parlait jamais que chez la reine, et ce n'était même que quand elle ne s'en pouvait absolument dispenser ; elle se résolut aussi de conseiller au prince de l'île Paisible de retourner bientôt dans son royaume ; mais que de difficultés quand il faut quitter ce que l'on aime !

    Un soir qu'elle était occupée de cette pensée, elle s'enferma dans son cabinet', pour y rêver avec plus de liberté ; elle trouva un billet qu'on avait mis dans sa poche sans qu'elle s'en fût aperçue ; elle l'ouvrit, et l'écriture d'Atimir, qu'elle reconnut, lui fit sentir un trouble qui ne se peut exprimer ; elle crut ne le devoir pas lire, mais son cœur l'emporta sur sa raison ; elle le lut, et y trouva ces paroles

    Vous n'êtes plus sensible à mon ardent amour,

    Vous n'avez plus pour moi que de l'indifférence :

    Belle Hébé, votre cœur est léger à son tour ;

    Il imita si bien ma fatale inconstance,

    Hélas ! qu'il ne saurait imiter mon retour.

    Cet heureux temps n'est plus, où de mon tendre amour

    Vous daigniez partager les plaisirs et les peines ;

    Nous fûmes, il est vrai, volages tour à tour,

    Mais je reviens à vous, chargé des mêmes chaînes :

    Hélas ! ne sauriez-vous imiter mon retour ?

    « Ah cruel ! s'écria la princesse, que vous ai-je fait, pour chercher à rallumer dans mon âme une tendresse qui m'a tant coûté de douleurs ? » Les larmes d'Hébé interrompirent son discours.

    Cependant Ilérie languissait d'une jalousie qui n'était que trop bien fondée. Atimir, emporté par sa passion, ne pouvait plus se contraindre ; le prince de l'île Paisible commença à s'apercevoir de son amour pour Hébé, mais il voulut examiner davantage la conduite d'Atimir avant que d'en parler à la princesse ; il l'adorait constamment, et il craignait par ses discours de la faire apercevoir lui-même de la passion de ce prince.

    Quelques jours après qu'Hébé eut reçu ce billet, il y eut des courses de chevaux ; les princes et toute la belle jeunesse de la cour devaient rompre des lances à l'honneur des dames. Le roi et la reine honorèrent ce divertissement de leur présence, la belle Hébé et la princesse Ilérie devaient elles-mêmes donner le prix ; l'un était une épée, dont la garde et le fourreau étaient couverts de pierreries d'une beauté extraordinaire ; et l'autre, un bracelet de diamants brillants très parfaits. Tous les chevaliers nommés pour les courses parurent d'une magnificence merveilleuse, et montés sur les plus beaux chevaux du monde ; ils portaient tous les couleurs de leurs maîtresses, et sur leurs écus des devises galantes, convenables aux sentiments de leur cœur.

    Le prince de l'île Paisible parut superbement vêtu, et montant un cheval isabelle à crins noirs d'une beauté incomparable ; dans tout son équipage brillait la couleur de rose, c'était celle qu'aimait Hébé. On voyait sur un casque fort léger, qui couvrait sa tête, flotter un bouquet de plumes de cette même couleur. Il attira les applaudissements de tous les spectateurs ; et il paraissait si beau sous ses armes brillantes, qu'Hébé se fit mille reproches secrets des sentiments que son malheur lui inspirait pour un autre. La suite du prince de l'île Paisible était nombreuse ; elle était vêtue à la mode de son pays ; tout y paraissait galant et magnifique ; un écuyer portait son écu, on s'empressa d'en voir la devise. C'était un cœur percé d'une flèche ; un petit Amour en lançait un grand nombre, pour essayer d'y faire de nouvelles blessures ; mais elles paraissaient toutes, hors la première, avoir été tirées inutilement ; ces mots étaient écrits au-dessous :

    Je n'en crains point d'autres.

    Les couleurs et la devise du prince de l'île Paisible firent facilement remarquer que c'était comme chevalier de la belle Hébé qu'il avait voulu entrer dans la lice.


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