• Par La Comtesse de Murat

      Quelque grandeur où le destin élève ceux qu'il favorise, il n'est point de félicité exempte de véritables chagrins ; on ne peut connaître les fées, et ignorer que, quelque savantes qu'elles puissent être, elles n'ont pu trouver le secret de se garantir du malheur de changer de figure quelques jours de chaque mois, en prenant celle d'un animal terrestre, céleste, ou de ceux qui vivent dans les eaux. Pendant ces jours si dangereux où elles se trouvent en proie à la cruauté des hommes, elles ont souvent peine à se sauver des périls où cette dure nécessité les expose.

    Une d'entre elles, qui se transformait en anguille, fut malheureusement prise par des pêcheurs ; on la porta aussitôt dans un petit carré d'eau au milieu d'une belle prairie, où l'on mettait les poissons réservés pour la table du roi de ce pays-là. Anguillette, c'était le nom de la fée, trouva dans ce nouveau séjour un grand nombre de beaux poissons destinés comme elle à ne vivre plus que quelques heures ; elle avait entendu les pêcheurs qui se disaient les uns aux autres que ce soir même, le roi devait donner un grand festin, pour lequel ces grands poissons avaient été choisis avec soin. Quelle nouvelle pour la malheureuse fée ! Elle accusa mille fois le destin, elle soupira douloureusement ; mais après s'être cachée quelque temps au fond de l'eau pour déplorer en particulier son infortune, le désir de sortir d'un si pressant danger la fit regarder de tous côtés, pour voir si elle ne pourrait point se sauver de ce réservoir, et regagner la rivière qui était à une assez petite distance de ce lieu-là ; mais la fée regarda inutilement, le carré d'eau était trop profond pour espérer d'en pouvoir sortir sans secours, et sa douleur augmenta encore en voyant arriver les pêcheurs qui l'avaient prise. Ils commencèrent à jeter leurs filets, et Anguillette, en les évitant avec adresse, ne reculait son trépas que de quelques moments.

    La plus jeune des filles du roi se promenait alors dans la prairie, elle s'approcha du carré d'eau pour s'amuser à voir pêcher. Le soleil, qui se couchait alors, faisait briller ses rayons dans les ondes ; la peau d'Anguillette, qui était fort luisante, paraissait au soleil dorée en quelques endroits, et mêlée de diverses couleurs. La jeune princesse la remarqua, et la trouvant fort belle, commanda aux pêcheurs de la prendre et de la lui donner ; on obéit : la malheureuse fée fut bientôt remise entre les mains qui allaient décider de sa vie.

    Quand la princesse eut regardé quelques moments Anguillette, touchée de compassion, elle courut jusqu'au bord de la rivière, et la remit dans l'eau. Ce service inespéré toucha le cœur de la fée d'une vive reconnaissance. Elle reparut sur la rivière, et dit à la princesse « Je vous dois la vie, généreuse Plousine, c'était son nom, mais c'est un grand bonheur pour vous ; n'ayez point peur, continua-t-elle en voyant la jeune princesse prête à s'enfuir, je suis une fée, je vous ferai connaître la vérité de mes paroles par un nombre infini de bienfaits. »

    Comme on était accoutumé en ces temps-là à voir des fées, Plousine se rassura, et prêta beaucoup d'attention aux agréables promesses d'Anguillette. Elle commençait même à lui répondre quelque chose, quand la fée l'interrompant lui dit : « Attendez, après avoir reçu mes bienfaits, à m'assurer de votre reconnaissance ; allez, jeune princesse, et revenez demain matin au lieu où vous êtes ; voyez quel souhait vous voudrez faire, et aussitôt je l'accomplirai. Choisissez d'une beauté parfaite et touchante, de l'esprit le plus grand et le plus aimable, ou des richesses infinies. » Après ces mots, Anguillette se cacha au fond de l'eau, et laissa Plousine très satisfaite de son aventure.

    Elle résolut de ne faire confidence à personne de ce qui venait de lui arriver ; « car, disait-elle en elle-même, si Anguillette me trompait, mes sœurs croiraient que c'est une fable que j'ai inventée. » Après cette petite réflexion, elle alla rejoindre sa suite, qui n'était composée que d'un petit nombre de femmes ; elle les trouva qui cherchaient à la rejoindre.

    La nuit qui suivit cette journée, la jeune Plousine ne fut occupée que du choix qu'elle devait faire : celui de la beauté emportait presque la balance ; mais comme elle avait assez d'esprit pour souhaiter d'en avoir davantage, elle résolut de demander cette grâce à la fée. Elle se leva en même temps que le jour, elle courut dans la prairie pour, disait-elle, cueillir des fleurs, et en faire une guirlande qu'elle voulait présenter à la reine sa mère à son lever. Ses femmes se dispersèrent dans la prairie pour choisir les fleurs les plus belles et les plus vives ; elle en était tout émaillée. Cependant la jeune princesse courut au bord de la rivière, et trouva à l'endroit où elle avait vu la fée une colonne de marbre blanc parfaitement belle ; un moment après, la colonne s'ouvrit et la fée en sortit, et se fit voir à la princesse : ce n'était plus un poisson, c'était une grande femme, belle, d'un air majestueux, et dont la coiffure et l'habit étaient couverts de pierreries. « Je suis Anguillette, dit-elle à la jeune princesse qui la regardait avec une grande attention ; je viens accomplir ma promesse : vous avez fait choix de l'esprit, vous en aurez dès ce moment même, et vous en aurez assez pour mériter l'envie de tous ceux qui jusqu'à ce jour ont pu se flatter d'en avoir. »

    La jeune Plousine, après ces paroles, se sentit très différente de ce qu'elle était un instant auparavant ; elle remercia la fée avec une éloquence que jusqu'alors elle n'avait jamais connue. La fée sourit de l'étonnement que marquait la princesse de trouver tant de facilité à s'énoncer. « Je vous sais si bon gré, continua la gracieuse Anguillette, du choix que vous avez fait préférablement à la beauté qui flatte tant une personne de votre âge, que pour vous en récompenser je vous donnerai la beauté que vous avez aujourd'hui si sagement négligée. Revenez demain à la même heure, je vous donne jusqu'à ce temps-là pour choisir comment vous désirerez d'être belle. »

    La fée disparut, et laissa la jeune Plousine plus touchée de son bonheur qu'elle ne l'avait encore été ; le choix de l'esprit était un effet de sa raison, mais la promesse de la beauté flattait son cœur, et ce qui touche le cœur est toujours le plus sensible. La jeune princesse, en quittant le bord de l'eau, alla prendre les fleurs que lui présentèrent ses femmes, elle en fit une guirlande très agréable, et la porta à la reine ; mais quel fut l'étonnement de cette princesse, celui du roi et de toute la cour, d'entendre parler la jeune Plousine avec une grâce qui enlevait les cœurs ! Les princesses ses sueurs tâchaient inutilement de lui trouver moins d'esprit que les autres, elles étaient contraintes de s'étonner, et d'admirer toujours.

    La nuit vint ; la princesse, occupée de l'espérance d'être belle, au lieu de se coucher, passa dans un cabinet rempli de portraits, où sous la figure de déesses étaient peintes plusieurs reines et princesses de sa maison ; tous ces portraits étaient beaux, elle espéra qu'il[s] l'aiderai[en]t à choisir une beauté digne d'être demandée à la fée.

    Une Junon s'offrit d'abord à ses regards, elle était blonde et avait l'air tel qu'il doit être pour représenter la reine des dieux ; Pallas et Vénus étaient auprès d'elle, ce tableau représentait le Jugement de Pâris. La noble fierté de Pallas plut fort à la jeune princesse, mais la beauté de Vénus pensa fixer son choix ; cependant elle passa au tableau suivant, on y voyait Pomone à demi couchée sur un lit de gazon, sous des arbres chargés des plus beaux fruits du monde ; elle paraissait si charmante que la princesse, qui depuis ce matin-là savait tout, ne s'étonna point qu'un dieu eût pris diverses figures pour tâcher de lui plaire. Diane paraissait ensuite telle que les poètes la représentent le carquois sur le dos et l'arc à la main, elle poursuivait un cerf, suivie d'une grande troupe de nymphes. Flore se faisait remarquer un peu plus loin ; elle paraissait se promener dans un parterre dont les fleurs, quoique admirables, brillaient pourtant beaucoup moins que son teint ; on voyait ensuite les Grâces, elles paraissaient belles et touchantes, ce tableau achevait le tour du cabinet.

    Mais la princesse fut frappée de l'agrément de celui qui ornait le dessus de la cheminée, c'était la déesse de la jeunesse ; un air divin était répandu sur toute sa personne, ses cheveux étaient du plus beau blond du monde, elle avait le tour du visage d'une forme agréable, la bouche charmante, la taille et la gorge parfaitement belles, et ses yeux paraissaient bien plus redoutables pour troubler la raison que le nectar dont elle paraissait s'amuser à remplir une coupe. « Je veux, s'écria la jeune princesse après avoir admiré cet admirable portrait, je veux être belle comme Hébé, et l'être longtemps, s'il est possible. » Après ce souhait, elle retourna dans sa chambre, où le jour qu'elle attendait lui parut trop lent à seconder son impatience.

    Il vint enfin, et elle retourna au bord de la rivière ; la fée tint sa parole, elle parut et jeta un peu d'eau sur le visage de Plousine, qui devint aussi belle qu'elle l'avait désiré. Quelques dieux marins avaient accompagné la fée, leur applaudissement fut le premier effet des charmes de la fortunée Plousine ; elle se regarda dans l'eau, et ne put reconnaître, son silence et son étonnement furent alors les seules marques de sa reconnaissance. « J'ai rempli tous vos souhaits, lui dit la généreuse fée, vous devez être contente ; mais je ne le serais pas encore si je ne surpassais tous vos désirs par mes bienfaits. Je vous donne avec l'esprit et la beauté tous les trésors dont je dispose ; ils ne peuvent s'épuiser ; souhaitez seulement, quand vous le voudrez, des richesses infinies, vous les obtiendrez dans le moment même, pour vous et pour tous ceux que vous en croirez dignes. »

    La fée disparut, et la jeune Plousine, alors aussi belle qu'Hébé, retourna au palais ; tout ce qui la rencontrait en était charmé ; on annonça son arrivée chez le roi qui l'admira lui-même, et ce fut à sa voix et à son esprit qu'on reconnut l'aimable princesse ; elle apprit au roi qu'une fée lui avait fait tous ces dons si précieux, et on ne la nomma plus qu'Hébé, parce qu'elle ressemblait parfaitement au beau portrait de cette déesse. Quels nouveaux sujets de haine contre elle pour ses sœurs ! Son esprit leur avait encore moins donné de jalousie que sa beauté. Tous les princes qui avaient été touchés de leurs attraits ne balancèrent point à devenir infidèles, on abandonna de même toutes les autres beautés de cette cour ; les larmes et les reproches n'arrêtèrent point ces amants volages, et ce procédé qui parut alors si surprenant a depuis, dit-on, passé en coutume. Tout brûlait auprès d'Hébé, et son cœur demeurait insensible.


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  • Ils marchèrent encore trois jours ; mais le quatrième, le soleil qui venait de se lever fit briller de loin à leurs yeux des armes, et quand ceux qui les portaient furent un peu approchés, ils les reconnurent pour le prince Ormond et sa troupe. Danamo les avait renvoyés pour les poursuivre, avec ordre de ne les point quitter s'ils les trouvaient, et de ne pas s'éloigner du lieu où il leur arriverait peut-être encore quelque chose d'extraordinaire, et surtout de tâcher d'engager Parcin-Parcinet au combat. Danamo avait bien jugé, après le récit d'Ormond, qu'une fée protégeait le prince et la princesse, mais elle était si savante qu'elle ne désespérait pas de la vaincre par des charmes plus forts que les siens. Ormond, ravi de revoir le prince et Irolite qu'ils cherchaient avec tant de peine et de soins, courut l'épée à la main à ParcinParcinet, pour tâcher de le combattre suivant les ordres qu'il avait reçus de Danamo. Le jeune prince tira aussi son sabre d'un air si fier qu'Ormond se repentit plus d'une fois de son entreprise ; mais Parcin-Parcinet qui aperçut Irolite tout en larmes, attendri par cette vue, forma son quatrième souhait, et tout aussitôt un grand feu qui s'éleva presque jusqu'aux nues sépara Parcin-Parcinet et son ennemi. Ce feu fit reculer Ormond et sa troupe.

    Le jeune prince et Irolite, toujours suivis du fidèle esclave et de la sage Mana, se trouvèrent dans un palais dont la vue causa d'abord beaucoup de frayeur à la jeune Irolite. Il était tout de feu, mais elle fut bientôt rassurée quand elle s'aperçut qu'elle ne sentait point une chaleur plus ardente que celle du soleil, et que ce feu avait seulement le brillant et la flamme de celui qu'elle craignait, sans avoir toutes les autres qualités qui le rendent insupportable. Un grand nombre de jeunes et belles personnes, vêtues d'habits où paraissaient ondoyer des flammes, vinrent recevoir la princesse et son amant. Une d'entre elles, qu'ils jugèrent être la reine de ce lieu-là par les respects qui lui étaient rendus, leur dit : « Venez, charmante princesse, et vous, beau Parcin-Parcinet, vous êtes dans le royaume des salamandres, j'en suis la reine, et c'est avec plaisir que je me suis chargée de vous cacher sept jours dans mon palais, suivant les ordres de Favorable ; je voudrais seulement que votre séjour ici fût d'une plus longue durée. » Après ces mots, on les fit entrer dans un grand appartement tout de feu comme e reste du palais, et qui brillait d'une clarté plus vive que celle du soleil. Il y eut le soir chez la reine un grand souper délicat et bien entendu ; après le repas, on passa sur une terrasse pour voir un feu d'artifice d'une beauté merveilleuse et d'un dessin très singulier, qui était préparé dans une grande cour du palais des salamandres. Douze Amours étaient sur autant de colonnes de marbre de différentes couleurs ; six d'entre eux paraissaient prêts à tirer des flèches, et les six autres soutenaient un grand cartouche, où ces paroles étaient écrites en caractère de feu :

    La belle Irolite en tous lieux

    A la victoire pour partage ;

    Quelque ardents que soient nos feux,

    Celui qui brille dans ses yeux

    Brûle mieux, et plaît davantage.

    La jeune Irolite rougit de sa propre gloire, et Parcin-Parcinet était ravi qu'on la trouvât aussi belle qu'elle le paraissait à ses yeux. Cependant les Amours tirèrent des flèches de feu, qui se croisant en l'air, formèrent en mille endroits le chiffre et le beau nom d’Irolite, et l'élevèrent jusqu'au ciel. Les sept jours qu'elle demeura dans ce palais se passèrent en plaisirs. Parcin-Parcinet remarqua que tous les salamandres avaient de l'esprit et une vivacité charmante, et qu'ils étaient tous galants et amoureux ; la reine même ne leur parut pas exempte de cette passion pour un jeune salamandre d'une beauté merveilleuse. Le huitième jour, ils sortirent à regret d'un séjour si conforme à leur tendresse. Ils se trouvèrent dans une belle campagne, Parcin-Parcinet regarda sa bague, et trouva que sur ces quatre métaux mêlés ensemble, ces mots étaient gravés :

    Vous avez souhaité trop tôt.

    Ces paroles affligèrent le prince et la jeune princesse, mais ils étaient si près de la demeure de Favorable qu'ils espéraient y pouvoir arriver ce même jour. Cette pensée suspendit leur douleur, ils marchèrent en invoquant la fortune et l'amour, mais ce sont souvent des guides infidèles. Parcin-Parcinet était enfin près d'entrer sur les terres de Favorable ; mais Ormond, suivant les ordres de la fée, ne s'était point éloigné du lieu où le feu les avait séparés, il s'était campé derrière un bois, et des sentinelles qui faisaient une garde perpétuelle le vinrent avertir que le prince et la princesse venaient de reparaître dans la plaine. Il fit monter ses gens à cheval, et joignit sur le soir le malheureux prince et la divine Irolite ; Parcin-Parcinet ne s'effraya point du grand nombre de ceux qui l'attaquèrent tous à la fois. Il fut à eux avec une valeur qui les épouvanta. « J'accomplis mes promesses, belle Irolite, dit-il en tirant son sabre, je vais mourir pour vous, ou vous délivrer de vos ennemis. » Après ces mots, il frappa le premier qui se présenta devant lui, et l'abattit à ses pieds ; mais, ô douleur non attendue ! ce sabre merveilleux qu'il tenait de la fée se rompit en mille éclats. C'était là ce que Danamo attendait du combat du jeune prince ; quand elle donnait des armes, elle les charmait d'une manière particulière : dès que l'on s'en servait contre elle, le premier coup que l'on portait les faisait briser en mille pièces.

    Parcin-Parcinet, désarmé, ne put résister longtemps, le nombre l'accabla ; on le prit, et on le chargea de chaînes, et la jeune Irolite eut le même destin. « Ah ! fée Favorable, s'écria tristement le prince, abandonnez-moi à toutes les rigueurs de Danamo, mais sauvez la belle Irolite. - Vous avez désobéi à la fée, lui répondit un jeune homme d'une beauté surprenante qui parut en l'air ; il faut que vous en portiez la peine ; si vous n'aviez pas prodigué le secours de Favorable aujourd'hui, nous vous aurions sauvé pour toujours des cruautés de Danamo. Tout l'empire des sylphes est affligé de n'avoir pas eu la gloire de rendre heureux un prince si charmant, et une si belle princesse. » Après ces paroles, il disparut, et Parcin-Parcinet gémit alors de son imprudence. Il paraissait insensible à ses propres malheurs, mais qu'il ressentait vivement ceux d'Irolite ! Le regret d'y avoir contribué l'aurait fait mourir de douleur, si le destin n'eût résolu de lui faire encore souffrir de plus cruelles peines. La jeune Irolite témoignait un courage digne de l'illustre sang dont elle était descendue, et l'impitoyable Ormond, loin de s'attendrir à un spectacle si touchant, tâchait encore à redoubler les malheurs qu'il leur causait. Il les faisait conduire séparément, et leur ôtait par ce moyen la triste douceur de se plaindre d'un mal sans remède.

    Après un voyage si cruel, ils arrivèrent à la cour de la mauvaise fée, elle sentit une maligne joie en voyant ce prince et cette jeune princesse dans un état si digne de faire naître la pitié dans toute autre âme que la sienne. Azire en ressentit pour Parcin-Parcinet, mais elle n'osa le témoigner devant la fée. « Je vais donc, dit cette cruelle reine en s'adressant au jeune prince, avoir le plaisir de me venger de ton ingratitude ! Va, au lieu de monter sur le trône que ma bonté t'avait destiné, dans la prison de la mer, où je ferai finir ta malheureuse vie par des supplices affreux. - J'aime mieux la prison la plus cruelle, reprit ce prince en la regardant fièrement, que les faveurs d'une reine aussi injuste que toi. » Ces paroles irritèrent encore la fée, elle s'attendait à le voir humilié à ses pieds. Elle le fit conduire à la prison qu'elle lui avait destinée, Irolite pleura en le voyant partir, Azire ne put retenir ses soupirs, et toute la cour gémit en secret d'un ordre si impitoyable. Pour la belle Irolite, la reine la fit ramener dans ce château où elle avait demeuré si longtemps, la fit garder avec soin et traiter avec toute l'inhumanité dont elle était capable.

    La prison où fut conduit le prince était une tour affreuse au milieu de la mer, bâtie dans une petite île déserte ; il y fut enfermé, chargé de fers, et l'on eut pour lui toutes les duretés imaginables. Quel séjour pour un prince digne de régner sur tout l'univers ! Le souvenir d'Irolite était sa seule occupation, il n'appelait Favorable qu'au secours de sa chère princesse, et il souhaitait, mille fois le jour, de mourir pour expier seul la faute qu'il avait faite. Son fidèle esclave avait été enfermé dans la même prison, mais il n'avait pas la satisfaction de servir son illustre maître, et Parcin-Parcinet n'avait auprès de lui que des soldats farouches dévoués à la fée, qui pourtant en lui obéissant respectaient malgré eux-mêmes le malheureux Parcin-Parcinet. Sa jeunesse, sa beauté, et surtout son courage les touchaient d'une admiration qui leur faisait regarder ce prince comme un homme fort au-dessus des autres. La sage Mana était traitée dans le château d'Irolite comme l'esclave du prince dans la prison de la mer. Les femmes de Danamo approchaient seules de la princesse, et par les ordres de la fée, l'accablaient à tout moment d'une nouvelle douleur par le récit des souffrances de Parcin-Parcinet. Les maux de ce prince faisaient oublier à Irolite le souvenir des siens, et tout renouvelait ses larmes dans un lieu où elle avait tant vu de fois ce prince charmant lui jurer une fidélité éternelle. « Hélas ! disait-elle en elle-même, que n'avez-vous été moins constant, mon cher prince ! Votre infidélité m'aurait coûté la vie ; mais qu'importe, vous vivr[i]ez heureux, après trois mois de souffrance. »

    Danamo, qui avait passé ce temps à faire un charmé d'une force extraordinaire, envoya un matin à la belle Irolite deux lampes, l'une d'or et l'autre de cristal ; celle d'or était allumée, et Danamo lui fit ordonner de ne laisser jamais éteindre l'une des deux lampes ; mais elle lui fit dire qu'elle pourrait les allumer à son choix. Irolite répondit avec sa douceur naturelle qu'elle obéirait, sans chercher même à comprendre ce que signifiait le commandement de la fée. Elle porta soigneusement les deux lampes dans un cabinet ; celle d'or était allumée, elle ne l'éteignit point de tout ce jour-là, et le lendemain elle alluma l'autre, elle continua ainsi à obéir à la fée. Il y avait quinze jours qu'elle gardait les lampes, quand sa santé commença à devenir languissante ; elle ne douta pas un moment que sa douleur n'en fût la cause, et on lui apprit, pour redoubler ses maux, que Parcin-Parcinet était fort malade. Quelle nouvelle pour Irolite ! Sa vive douleur et son accablement attendrirent toutes les femmes qui étaient auprès d'elle.

    Un soir qu'elles s'étaient toutes endormies, l'une d'entre elles s'approcha doucement de la princesse, et la voyant allumer la lampe de cristal : « Que faites-vous, grande princesse ? lui dit-elle. Éteignez cette fatale lumière, vos jours y sont attachés, sauvez une si belle vie des cruautés de Danamo. - Hélas ! reprit la triste Irolite d'un air languissant, elle a rendu ma vie si malheureuse que c'est une espèce de faveur à la fée, que de me donner le moyen de la finir ; mais, continua-t-elle un moment après, avec une émotion qui ramena de belles couleurs sur son visage, quelle vie menace la lampe d'or dont je prends le même soin d'entretenir la lumière ? - Les jours de ParcinParcinet », reprit la confidente de Danamo, car elle parlait par son ordre à la princesse ; la mauvaise fée la voulait tourmenter, en lui faisant apprendre qu'elle était cruelle, sa destinée. À cette nouvelle, la douleur d'avoir pris soin elle-même de terminer les jours de Parcin-Parcinet la fit demeurer longtemps sans connaissance ; elle revint, et reprenant ses sens, elle reprit aussi son désespoir : « Fée odieuse ! disait-elle quand elle avait la force de parler, fée barbare ! quoi ! ma mort ne suffisait pas à ta fureur ? Tu voulais encore, cruelle, faire périr par mes mains un prince qui m'est si cher, et qui est si digne de l'amour le plus parfait et le plus tendre ? Mais la mort mille fois plus douce que toi va bientôt me délivrer de tous les maux que ta rage t'a fait inventer contre une passion si violente et si fidèle. » La jeune princesse pleurait sans cesse sur la lampe fatale où étaient attachés les jours de Parcin-Parcinet, et n'allumait plus que la sienne, elle la regardait brûler avec joie, comme un sacrifice' qu'elle faisait à son amour et à son amant ; cependant ce malheureux prince était tourmenté par des supplices où tout son courage ne pouvait résister.

    La fée lui avait fait dire par un des soldats qui le gardait dans sa prison, et qui feignit d'être sensible aux douleurs de cet illustre prince, qu'Irolite avait consenti à épouser le prince Ormond, peu de jours après qu'il eut été conduit dans l'affreuse prison où il gémissait ; encore, que cette princesse avait paru contente après son mariage, qu'elle s'était trouvée à toutes les fêtes que l'on avait faites pour le célébrer, et qu'enfin elle était partie avec son époux ; c'était là le seul malheur où le prince ne s'attendait pas, et c'était aussi le seul qui pût être plus fort que sa constance. « Quoi ! ma chère Irolite, vous m'êtes infidèle, disait ce triste prince, et vous l'êtes pour Ormond ! Vous n'avez pas seulement plaint mes malheurs ? Vous n'avez songé qu'à finir ceux que vous causait ma tendresse ? Vivez heureuse, ingrate Irolite ; je vous adore, tout inconstante que vous êtes, et je veux mourir pour mon amour, puisque vous n'avez pas voulu que j'eusse la gloire de mourir pour ma princesse. »

    Tandis que l'infortuné Parcin-Parcinet s'affligeait ainsi, et que la tendre Irolite donnait sa vie pour prolonger celle de son amant, Danamo fut touchée du désespoir d'Azire, elle mourait de douleur des maux de Parcin-Parcinet ; enfin la cruelle fée, qui vit bien que pour sauver la vie de sa fille il fallait pardonner à ce prince, lui permit de l'aller voir, et de lui promettre tous les biens qu'il avait autrefois espérés pourvu qu'il la voulût épouser, et la fée résolut de faire mourir Irolite dès que le prince aurait accepté ces propositions ; l'espérance de revoir Parcin-Parcinet rendit la vie à la triste Azire, et la reine lui permit d'envoyer au château d'Irolite reprendre la lampe d'or qu'elle voulait garder pour être plus assurée qu'on ne l'allumerait pas ; cet ordre parut plus cruel que tous les autres à l'affligée Irolite. Que d'inquiétude pour la vie de Parcin-Parcinet ! « Soyez moins en peine de la fortune de ce prince, lui dirent les femmes qui étaient auprès d'elle, il va épouser la princesse Azire, et c'est elle qui, soigneuse de sa vie, vient d'envoyer chercher la lampe où ses jours sont attachés. » Le tourment de la jalousie manquait aux malheurs de l'infortunée Irolite ; après ces mots, elle le sentit naître dans son cœur ; cependant Azire fut voir le prince, et lui offrit son hymen et ses royaumes ; puis feignant d'ignorer qu'il avait appris qu'Irolite avait épousé Ormond, elle le voulut convaincre par cet exemple qu'il avait poussé la constance trop loin. Parcin-Parcinet, à qui rien n'était précieux sans la charmante Irolite, préféra sa prison et ses malheurs à la liberté et aux empires ; Azire fut désespérée de ces refus, et sa douleur la rendait aussi malheureuse que lui.

    Pendant ce temps-là, la fée Favorable, qui jusqu'alors avait fait gloire de l'insensibilité de son cœur, ne put résister aux charmes d'un jeune prince qui brillait alors dans sa cour ; il prit de l'amour pour elle ; Favorable ne pouvait se résoudre à lui laisser entendre que la fierté de son âme s'était laissée vaincre à ses soins ; enfin elle céda au désir de ne lui laisser plus ignorer son triomphe. Le plaisir de parler à ce qu'on aime lui parut alors un plaisir si charmant, et si digne d'être souhaité, qu'approuvant la faute qu'elle avait tant blâmée, elle vint en diligence au secours de Parcin-Parcinet et de la belle Irolite.

    Un peu plus tard, il n'eût plus été temps de les secourir ; la lampe fatale d'Irolite devait finir dans six jours, et la douleur du malheureux Parcin-Parcinet était prête à terminer sa vie ; Favorable arriva dans le palais de Danamo, sa puissance était bien au-dessus de la sienne, elle se fit obéir malgré la colère de la méchante fée ; le prince fut retiré de sa prison, il n'en sortit qu'après avoir été assuré par Favorable que la belle Irolite pouvait encore être à lui. Il parut malgré sa pâleur plus beau que le jour qu'il venait de revoir ; il fut avec la fée Favorable au château de sa princesse, la lampe ne jetait plus qu'une faible lueur, et la mourante Irolite ne voulut consentir à la laisser éteindre qu'après avoir été assurée de la fidélité de son heureux amant.

    Il n'est point d'expression assez vive et assez tendre pour exprimer la joie parfaite qu'ils sentirent à se revoir ; Favorable leur fit reprendre en un moment tous leurs charmes, les doua d'une longue vie et d'un bonheur constant ; mais pour leur tendresse, elle ne trouva rien à y ajouter. Danamo, furieuse de voir son autorité renversée, se tua de sa propre main. Le sort d'Azire et celui d'Ormond furent remis par le prince entre les mains d'Irolite, elle ne s'en voulut venger qu'en les unissant ensemble pour toujours ; et Parcin-Parcinet, aussi généreux que fidèle, ne voulut reprendre que le royaume de son père, et laissa régner Azire dans ceux de Danamo. La noce du prince et de la divine Irolite se fit avec une magnificence infinie, et après avoir témoigné leur reconnaissance à Favorable, et comblé de bienfaits l'esclave et la sage Mana, ils partirent pour leur royaume, où le prince et l'aimable Irolite jouirent du rare bonheur de brûler toujours d'un amour aussi tendre et aussi constant dans une fortune tranquille, que pendant leurs malheurs il avait été ardent et fidèle.

     

     

     

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  • Cependant le jour découvrit à Danamo une nouvelle si peu attendue ; les dames qui étaient auprès d'Irolite s'étonnaient de ce qu'elle dormait bien plus tard qu'à l'ordinaire ; mais suivant l'ordre que la sage Mana leur avait donné le soir, elles n'osaient entrer chez la princesse sans qu'elle les vînt avertir. Mana couchait dans la chambre d'Irolite, et elles étaient sorties par une petite porte qui donnait dans une cour du palais, peu fréquentée ; cette porte était dans le cabinet d'Irolite, elle était fermée, mais avec un peu de peine, en deux ou trois soirées, elles avaient trouvé le moyen de l'ouvrir. Enfin la reine envoya chez Irolite pour lui ordonner de se rendre chez elle ; tout obéissait aux ordres de la fée, on frappa à la porte de la chambre de la princesse, on ne répondit point. Le prince Ormond arriva qui venait pour conduire Irolite chez la reine ; il fut très étonné de voir qu'on frappait vainement, il fit enfoncer la porte, on entra, et voyant la petite porte du cabinet forcée, on ne douta plus que la princesse n'eût fui du palais. L'on porta cette nouvelle à la reine, elle frémit de colère en l'apprenant. Elle ordonna que l'on cherchât partout Irolite, mais ce fut inutilement qu'on voulut s'instruire de sa fuite, personne n'en avait été informé. Le prince Ormond partit lui-même pour aller chercher Irolite, on envoya les gardes de la fée en toute diligence sur les chemins qu'on jugea qu'elle devait avoir pris.

    Cependant Azire s'aperçut que dans ce trouble général, ParcinParcinet n'avait point paru ; elle envoya chez lui avec empressement, et enfin la jalousie, ouvrant les yeux d'Azire, lui fit penser que ce prince avait enlevé Irolite, quoiqu'elle ne l'eût pas encore soupçonné d'en être amoureux'. La fée ne le pouvait croire, mais elle alla consulter ses livres, et trouva que le soupçon d'Azire était une vérité. Cependant cette princesse, ayant appris que Parcin-Parcinet n'était point dans son appartement ni dans tout le palais, envoya dans le château où Irolite avait demeuré si longtemps, pour voir si l'on n'y trouverait rien qui pût justifier ou condamner le prince. La sage Mana avait eu soin de n'y rien laisser qui pût marquer l'intelligence d'Irolite avec Parcin-Parcinet, mais on trouva près du siège, sur lequel ce jeune prince avait été longtemps évanoui, l'écharpe qu'Azire lui avait donnée ; elle s'était détachée pendant son évanouissement, et ce prince et Mana, occupés de leur douleur, ne s'en étaient aperçus ni l'un ni l'autre. Que ne sentit point l'orgueilleuse Azire à la vue de cette écharpe ! Son amour et sa gloire la faisaient souffrir également, elle s'affligea avec excès, elle fit mettre dans les prisons de la fée tous ceux qui avaient été au service d’Irolite et à celui du prince. L'ingratitude que la reine croyait que Parcin-Parcinet avait pour elle poussa à l'extrémité sa fureur naturelle, et elle aurait donné volontiers un de ses royaumes pour pouvoir se venger de ces deux amants.

    Cependant ils étaient poursuivis de tous côtés : Ormond et sa troupe trouvaient partout des chevaux frais par l'ordre de la fée, ceux de Parcin-Parcinet étaient las, et ne répondaient plus par leur ardeur à l'impatience de leur maître. En sortant d'une forêt, Ormond le joignit ; le premier mouvement du jeune prince fut d'aller combattre cet indigne rival ; il courait déjà au devant de lui, et portait la main sur son sabre, quand Irolite lui cria : « Prince, ne cherchez point un danger inutile, obéissez aux ordres de Favorable ! » Ces paroles arrêtèrent la colère de Parcin-Parcinet, et pour obéir à sa princesse et à la fée, il souhaita que la belle Irolite fût en sûreté contre les persécutions de la cruelle reine. A peine ce souhait fut-il formé que la terre s'ouvrit entre lui et Ormond ; il se présenta à ses yeux un petit homme assez mal fait, vêtu d'un habit magnifique, qui lui fit signe de le suivre. La pente était douce de son côté, il descendit de cheval avec la belle Irolite ; Mana et le fidèle esclave les suivirent, et la terre se referma. Ormond, surpris d’un événement si extraordinaire, courut en diligence pour en rendre compte à Danamo ; cependant nos jeunes amants suivirent le petit homme par une route fort obscure, au bout de laquelle ils trouvèrent un vaste palais, qui n'était éclairé que par une grande quantité de flambeaux et de lampes.

    On les fit descendre de cheval, ils entrèrent dans une salle d'une grandeur prodigieuse ; elle était soutenue par des colonnes de terre luisante, couverte d'ornements d'or, les murs étaient de même matière ; un petit homme tout couvert de pierreries était assis sur un trône d'or au fond de la salle, entouré d'un grand nombre de gens faits comme celui qui avait conduit le prince jusqu'en ce lieu ; dès qu'il parut avec la charmante Irolite, le petit homme se leva de son trône, et lui dit : « Venez, prince, la grande fée Favorable, qui est dès longtemps de mes amies, m'a prié de vous sauver des cruautés de Danamo. Je suis le roi des Gnomes, soyez le bienvenu dans mon palais avec la belle princesse qui vous accompagne. » Parcin-Parcinet le remercia du secours qu'il venait de lui donner. Ce roi et tous ses sujets furent enchantés de la beauté d'Irolite, ils la prirent pour un astre qui venait éclairer leur séjour ; on servit un magnifique repas à Parcin-Parcinet et à la princesse. Le roi des Gnomes en fit les honneurs ; une musique fort harmonieuse, mais un peu barbare, fit le divertissement de la soirée, on y chanta les charmes d'Irolite, et ces vers furent répétés plusieurs fois :

    Quel astre descend sous la terre

    Pour embellir ce séjour ténébreux ?

    Ne regardons point trop cette vive lumière

    Qui séduit et charme les yeux ;

    L'astre brillant qui nous éclaire,

    Pour les cœurs est bien dangereux.

    Après la musique, on conduisit le prince et la princesse, chacun dans une chambre magnifique ; Mana et le fidèle esclave les servirent. Le lendemain, on leur fit voir le palais du roi ; il dispose de tous les trésors que la terre enferme, on ne pouvait rien ajouter à ces richesses, c'était un amas confus de belles choses, mais l'art y manquait partout. Le prince et la princesse demeurèrent huit jours dans ce lieu souterrain, Favorable l'avait ainsi ordonné au roi des Gnomes ; pendant ce temps, on donna tous les jours à la princesse et à son amant des fêtes peu galantes, mais magnifiques ; la veille de leur départ, le roi, pour immortaliser la mémoire de leur séjour dans son empire, fit élever leurs statues aux deux côtés de son trône ; elles étaient d'or, et les piédestaux de marbre blanc. Ces paroles étaient écrites avec des lettres formées de diamants sur le piédestal de la statue du prince :

    Nous ne désirons plus la vue du soleil ;

    Nous avons vu ce prince,

    Il est plus beau et plus brillant que lui.

    Et sur le piédestal de la statue de la princesse étaient ces mots écrits de la même manière :

    À la gloire immortelle

    De la déesse de la beauté,

    Elle est descendue ici-bas,

    Sous les traits et le nom d'Irolite.

    Le neuvième jour, on donna au prince les plus beaux chevaux du monde, leurs harnais étaient d'or, tout couverts de diamants ; il sortit de la sombre demeure des gnomes avec sa petite troupe, après avoir témoigné sa reconnaissance au roi ; il se retrouva dans la même campagne où Ormond l'avait attaqué, il regarda sa bague, et ne retrouva plus que l'argent et l'airain qui paraissaient. Il poursuivit son chemin avec la charmante Irolite, et ils se hâtaient d'arriver à la demeure de Favorable, où enfin ils devaient être en sûreté, quand tout d'un coup en sortant d'un vallon, ils rencontrèrent une troupe des gardes de Danamo qui continuaient à les chercher. Ils s'apprêtaient à fondre sur eux quand le prince fit promptement son souhait, et tout aussitôt il parut un grand espace couvert d'eau entre la troupe de Parcin-Parcinet et celle de la fée. Une belle nymphe à demi nue parut au milieu de l'eau dans un petit bateau de roseaux entrelacés. Elle s'approcha du rivage, pria le prince et sa belle maîtresse d'entrer dans le petit bateau ; Mana et l'esclave les y suivirent, leurs chevaux restèrent dans la campagne, et le petit bateau, s'enfonçant tout d'un coup dans l'eau, fit croire aux gardes de la fée qu'ils étaient péris en voulant se sauver de leurs mains.

    Cependant ils se trouvèrent dans un palais dont les murs n'étaient que grandes nappes d'eau, qui tombant sans cesse également, formaient des salles, des chambres, des cabinets, et entouraient les jardins où mille jets d'eau de figure bizarre formaient le dessin des parterres. Il n'y avait que les naïades, dans l'empire desquels ils étaient, qui pussent habiter ce palais aussi beau qu'il était singulier ; pour donner donc une demeure plus solide au prince et à la belle Irolite, la naïade qui les conduisait les mena dans des grottes de coquillages où brillaient le corail, les perles et toutes les autres richesses de la mer. Les lits étaient de mousse, cent dauphins gardaient la grotte d'Irolite, et vingt baleines celle de Parcin-Parcinet. Les naïades admirèrent à leur retour la beauté d'Irolite, et plus d'un triton fut jaloux des regards et des soins qu'attirait le jeune prince ; on leur servit, dès qu'ils furent dans la grotte de la princesse, une collation' superbe de toutes sortes de fruits glacés ; douze sirènes vinrent charmer par leurs chants doux et gracieux les inquiétudes du jeune prince et de la belle Irolite, elles finirent leurs concerts par ces paroles :

    En quelque lieu où l'Amour nous amène,

    Ce dieu sait nous y rendre heureux ;

    Parfaits amants, charmés de votre chaîne,

    Jusques au fond des eaux faites briller vos feux ;

    En quelque lieu où l'Amour nous amène,

    Ce dieu sait nous y rendre heureux.

    Le soir, il y eut un festin où l'on ne servit que des poissons, mais d'une grandeur extraordinaire et d'un goût exquis ; après le repas, les naïades dansèrent un ballet avec des habits d'écailles de poissons de différentes couleurs, qui faisaient le plus bel effet du monde ; les corps des tritons, et d'autres instruments inconnus aux mortels, composaient la symphonie, elle était bizarre, mais nouvelle et très agréable. Parcin-Parcinet et la belle Irolite furent quatre jours dans cet empire, Favorable l'avait ainsi ordonné ; le cinquième jour, les naïades vinrent en foule conduire le prince et la princesse ; les deux amants étaient dans un petit bateau, fait d'une seule coquille, et les naïades à moitié hors de l'eau les accompagnèrent jusqu'au bord d'une petite rivière, où Parcin-Parcinet retrouva ses chevaux, et se mit à marcher avec d'autant plus de diligence qu'il s'aperçut en regardant sa bague que l'argent en était disparu ; il n'y restait plus que l'airain, mais aussi étaient-ils fort près de la demeure tant désirée de Favorable.


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