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Par Stéphanie le 14 Juillet 2011 à 15:13
La fée, et surtout Azire, lui témoignèrent une grande inquiétude de son mal ; il se retira chez lui, ce fut là qu'il accusa mille fois le destin des malheurs qui menaçaient la charmante Irolite, et qu'il s'abandonna à toute sa douleur et à toute sa tendresse, et que commençant enfin de remédier à des maux si douloureux pour un amant fidèle, il écrivit, avec les expressions les plus touchantes que son amour lui pût dicter, à une de ses tantes qui était fée comme Danamo, mais qui avait autant de joie à soulager les malheureux que Danamo prenait de plaisir à en faire : on la nommait Favorable. Il lui expliqua donc la situation cruelle où l'amour [et] la fortune l'avaient réduit, et n'osant s'éloigner lui-même de la cour de Danamo, sans trahir les desseins qu'il avait formés, il envoya son fidèle esclave à Favorable.
Quand tout le monde fut retiré, il sortit à son ordinaire de son appartement, traversa seul les jardins, et entrant dans la petite barque, prit lui-même une rame sans savoir encore s'il pourrait bien s'en servir ; mais que n'apprend point l'amour ! Il enseigne des choses bien plus difficiles ; il fit ramer Parcin-Parcinet avec autant d'adresse et de diligence que le plus expert en ce métier. Il entra dans le château d’Irolite, et fut bien surpris de ne trouver que la sage Mana, fondant en pleurs dans la chambre de la princesse. « Qu'avez-vous, Mana, lui dit le prince avec empressement, et en quel lieu est ma chère Irolite ? - Hélas, seigneur, lui dit Mana, elle n'est plus ici, une troupe des gardes de la reine et quelques femmes à qui apparemment elle se confie l'ont emmenée de ce château il y a trois ou quatre heures. » Parcin-Parcinet n'entendit point la fin de ces tristes paroles, il s'était évanoui dès qu'il avait appris le départ de la princesse ; Mana le fit revenir avec des peines infinies ; il ne sortit de cet état languissant que pour passer tout d'un coup à la fureur ; il tira un petit poignard qu'il portait à sa ceinture, et s'en serait percé le cœur si la sage Mana ne lui eût dit, en lui retenant le bras le mieux qu'il lui fut possible et se jetant à ses genoux : « Quoi, seigneur, vous voulez abandonner Irolite ? Vivez pour la délivrer des fureurs de Danamo. Hélas ! sans vous, où trouverait-elle du secours contre les cruautés de la fée ? » Ces paroles suspendirent un moment le désespoir du malheureux prince. « Hélas, reprit-il en versant des larmes que tout son courage ne put retenir, en quel lieu est ma princesse ? Oui, Mana, je vivrai pour avoir du moins la triste satisfaction de mourir pour elle, et d'expirer en la vengeant de ses ennemis. » Après ces mots, Mana le conjura de sortir de ce funeste séjour pour éviter de nouveaux malheurs. « Allez, prince, lui dit-elle, que savons-nous si la fée n'a point ici quelqu'un prêt à lui rendre compte de ce qui s'y passe ? Ménagez donc une vie si chère à la princesse que vous adorez ; je vous ferai savoir tout ce que je pourrai apprendre d'elle. »
Le prince partit après cette promesse, et se retira chez lui, avec toute la douleur que peut inspirer un amour bien malheureux et bien tendre. Il passa la nuit sur un siège, sur lequel il s'était jeté en entrant ; le jour l'y surprit, et il y avait déjà quelques heures qu'il était commencé quand il entendit quelque bruit à la porte de sa chambre ; il y courut avec cette impatience si pressante que l'on ressent quand on attend des nouvelles où le cœur s'intéresse si vivement ; il trouva que ses gens lui amenaient un homme qui voulait lui parler sans aucun retardement, il le reconnut pour un des parents de Mana ; il' remit une lettre entre les mains de Parcin-Parcinet ; il entra dans son cabinet pour cacher l'émotion que lui donnait cette lettre, il l'ouvrit avec précipitation, ayant reconnu l'écriture de Mana, et il y trouva ces paroles :
Mana,
Au plus grand prince du monde,
Rassurez-vous, seigneur, notre princesse est en sûreté, si ce mot peut être permis, tant qu'elle sera soumise au pouvoir de son ennemie ; elle m'a demandée à Danamo, qui m'a permis de retourner auprès d'elle, on la garde dans le palais ; hier au soir la reine la fit venir dans son cabinet, lui ordonna fièrement de regarder le prince Ormond comme devant être son époux dans peu de jours, et lui présenta ce prince si indigne d'être votre rival ; la princesse était si affligée qu'elle ne répondit à la reine que par des larmes, elles n'ont point encore tari ; c'est à vous, seigneur, à trouver, s'il est possible, du secours contre des maux si pressants.
Au bas de la lettre étaient ces mots écrits d'une main tremblante, et qui paraissaient effacés en quelques endroits :
Que je vous plains, mon cher prince ! Vos maux me sont encore plus douloureux que les miens ; j'épargne à votre tendresse le récit de ce que j'ai souffert depuis hier ; pourquoi faut-il que je trouble le repos de votre vie ? Hélas ! sans moi peut-être seriez-vous heureux.
Quel mouvement de joie et de douleur ne sentit point le cœur du jeune prince ! Quels baisers ne donna-t-il point à cette précieuse marque de l'amour de la divine Irolite ! Il était si hors de lui-même qu'il eut toutes les peines du monde à faire une réponse qui eût quelque suite ; il remercia la sage Mana, il instruisit la princesse du secours qu'il attendait de la fée Favorable, et que ne lui dit-il pas sur sa douleur et sur son amour ! Il porta enfin sa lettre au parent de Mana, et lui donna une attache de pierreries d'une beauté et d'un prix inestimables pour commencer à le récompenser du plaisir qu'il lui venait de faire. À peine le parent de Mana était[-il] sorti, que la reine et la princesse Azire envoyèrent savoir comment le prince avait passé la nuit ; il leur fut aisé de juger, par son visage, qu'il n'était pas en bonne santé ; on le pressa de se mettre au lit, et comme il comprit qu'il y serait moins contraint que s'il allait chez la fée, il y consentit.
L'après-dîner, la reine le fut voir et lui parla du mariage d'Irolite et du prince Ormond, comme d'une chose qu'elle avait résolue. Parcin-Parcinet, qui avait enfin pris la résolution de se contraindre pour ne pas rendre inutiles ses desseins, parut approuver les intentions de la fée, et la pria seulement d'attendre que sa santé fût rétablie, parce qu'il voulait être des fêtes de ce grand mariage. La fée et Azire, qui étaient au désespoir de son mal, lui promirent tout ce qu'il voulut, et du moins Parcin-Parcinet retarda quelques jours' la triste noce d'Irolite. La conversation qu'il avait eue en se promenant sur l'eau avec Azire avait avancé le malheur de la belle princesse qu'il aimait si tendrement. Azire avait rendu compte à la reine des discours de Parcin-Parcinet, et de sa pitié pour Irolite. La reine, qui ne retardait jamais l'exécution de ses volontés, envoya dès le même soir quérir Irolite, et résolut avec Azire d'achever le mariage de cette princesse, et de presser son départ avant que Parcin-Parcinet eût une autorité plus établie ; cependant au bout de dix jours, le fidèle esclave du prince arriva. Quelle joie pour lue de trouver dans la lettre que Favorable lui écrivait des marques de sa compassion et de son amitié pour lui et pour Irolite ! Elle lui envoyait une petite bague mêlée de quatre métaux différents, d'or, d'argent, d'airain et de fer ; cette bague pouvait le garantir quatre fois des persécutions de la cruelle Danamo ; et Favorable assurait le prince yue la mauvaise fée ne commanderait qu'on ne le poursuivît que le nombre de fois que la bague avait le pouvoir de le sauver. Ces bonnes nouvelles rendirent la santé au jeune prince, et il envoya chercher en diligence le parent de Mana. Il lui donna une lettre qui instruisait Irolite de l'heureux succès dont ils pouvaient se flatter. Il n'y avait point de temps à perdre ; la reine voulait achever le mariage d'Irolite dans trois jours.
Ce même soir, il y eut un bal chez Azire, Irolite y devait être. Parcin-Parcinet ne put se résoudre à y paraître négligé, il mit un habit magnifique, et il parut mille fois plus brillant que le jour ; il n'osa d'abord parler à la divine Irolite. Mais que ne se disaient-ils pas, quand leurs yeux osaient quelquefois se rencontrer ! Irolite avait le plus bel habit du monde ; la fée lui avait donné des pierreries merveilleuses, et n'ayant plus que quatre jours à l'avoir dans son palais, elle avait résolu de la traiter pendant ce peu de temps comme elle le devait être. Sa beauté, qui n'avait pas accoutumé d'être accompagnée de tant d'ornements, parut merveilleuse à tout le monde, et encore plus à l'amoureux Parcin-Parcinet ; il jugea même, par quelques mouvements de joie qu'il vit briller dans ses beaux yeux, qu'elle avait reçu sa lettre. Le prince Ormond parlait souvent à Irolite, mais il paraissait de si mauvaise mine sous l'or et les pierreries dont il était accablé, que ce n'était pas un rival digne de la jalousie du jeune prince.
Le bal était près de finir, quand Parcin-Parcinet, emporté par son amour, souhaita avec une ardeur extrême la liberté de pouvoir parler quelque moment à sa princesse. « Reine cruelle, et toi, odieuse Azire, dit-il en lui-même, m'ôterez-vous encore longtemps le charmant plaisir de dire mille fois à la belle Irolite que je l'adore ? Que ne sortez-vous de ces lieux, témoins jaloux de mon bonheur ? L'amour ne triomphe qu'en votre absence. » À peine Parcin-Parcinet eut formé ce souhait que la fée, se trouvant un peu mal, appela Azire, [et] passa avec elle dans une chambre prochaine où Ormond les suivit ; Parcin-Parcinet avait à son doigt la bague que la fée Favorable lui avait envoyée, elle pouvait le délivrer quatre fois des persécutions de Danamo. Il aurait dû garder ce secours assuré pour des occasions plus pressantes, mais un violent amour peut-il s'accorder avec la prudence ? Le jeune prince se douta bien, par le départ de la fée et d'Azire, que la bague commençait à servir son amour ; il vola près de la belle Irolite, il lui parla de sa tendresse avec des expressions plus vives qu'éloquentes ; il voyait bien qu'il avait peut-être employé légèrement le charme de Favorable, mais pouvait-il se repentir d'une imprudence qui le faisait parvenir au doux plaisir de parler à sa chère Irolite ? Ils résolurent ensemble, pour le lendemain, le lieu et l'heure où ils devaient enfin s'affranchir de leur pénible esclavage. La fée et Azire revinrent au bout de quelque temps. Parcin-Parcinet s'éloigna avec regret d' Irolite ; il regarda la bague fatale, et s'aperçut que le fer s'était confondu avec les autres métaux, et ne paraissait plus du tout ; ainsi il vit trop bien qu'il n'avait plus alors que trois souhaits à faire, il se résolut à les employer plus utilement que le premier pour sa princesse ; mais il ne fit confidence de son départ qu'à son fidèle esclave, et passa le reste de cette nuit à disposer toutes les choses nécessaires pour sa fuite.
Le lendemain, il parut tranquille chez la reine, et même d'une humeur plus vive qu'à son ordinaire ; il fit des plaisanteries au prince Ormond sur son mariage, et agit enfin d'une manière capable de calmer tous les soupçons, si l'on en avait eu quelques-uns sur son amour. À deux heures après minuit, il se rendit dans le parc de la fée, il y trouva son fidèle esclave, qui pour exécuter les ordres de son maître, avait amené en ce lieu quatre de ses chevaux. Le prince attendit peu ; l'aimable Irolite parut, marchant d'un pas chancelant et appuyée sur Mana : cette jeune princesse faisait cette démarche avec peine, il avait fallu toutes les cruautés de Danamo et toutes les mauvaises qualités d'Ormond pour l'y résoudre, l'amour seul n'aurait peut-être pas suffi. On était alors en été, la nuit était belle, et la lune qui éclairait dans le ciel, avec les étoiles brillantes, faisait une clarté plus aimable que celle du jour. Le prince s'avança avec empressement, ils n'étaient pas en lieu de faire de longs discours ; Parcin-Parcinet baisa tendrement la main d’Irolite, et lui aida à monter à cheval ; heureusement elle y était à merveille, et c'était un des plaisirs qui l'avaient amusée pendant sa prison. Elle montait quelquefois à cheval avec ses filles dans un petit bois peu distant de son château, dont la fée lui avait permis la promenade. Parcin-Parcinet, après avoir encore parlé quelques moments à la princesse, fut lui-même prendre son cheval ; les deux autres servirent à Mana et au fidèle esclave. Alors le jeune prince, tirant le sabre brillant qu'il tenait de la fée, jura à la belle Irolite de l'adorer toute sa vie et de mourir s'il était nécessaire pour la défendre de ses ennemis ; après ces mots, ils partirent, et il semblait que les zéphyrs fussent de leur intelligence, ou qu'ils prissent Irolite pour Flore, car ils l'accompagnèrent toujours.
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Par Stéphanie le 14 Juillet 2011 à 15:13
On l'avait élevée dans une grande solitude : quelque près du palais de la fée que fût le château où elle demeurait, elle n'y voyait pas plus de monde qu'elle aurait fait au milieu des déserts. Danamo faisait suivre exactement cet ordre ; la belle Irolite passait sa vie avec les femmes destinées à être auprès d'elle. Leur nombre était petit, mais quelque peu de fortune qu'on dût attendre dans une cour si solitaire et si bornée, la renommée, qui ne redoutait point Danamo, publiait tant de merveilles de cette jeune princesse, que les personnes les plus élevées de la cour s'offraient à s'aller renfermer avec la jeune Irolite. Sa présence ne démentait point ce que la renommée en faisait attendre, on trouvait toujours en elle à admirer.
Une gouvernante d'un esprit et d'une sagesse extrêmes, autrefois arrachée à la princesse, mère d'Irolite, était demeurée auprès d'elle, et gémissait souvent des rigueurs de Danamo pour la charmante Irolite ; elle s'appelait Mana. Le désir de rendre à la princesse la liberté dont el1e devait jouir et le rang où elle devait être, lui avait fait souffrir l'amour de Parcin-Parcinet. Il y avait alors trois ans qu'il s'était un soir introduit dans le château en habit d'esclave ; il trouva Irolite dans le jardin, il lui parla de sa tendresse, elle n'était alors qu'un enfant, mais c'était un enfant admirable ; elle aimait Parcin-Parcinet comme s'il eût été son frère, et ne pouvait encore comprendre que l'on aimât autrement. Mana, qui ne s'éloignait guère d'Irolite, surprit le jeune prince dans le jardin ; il lui apprit son amour pour la princesse, et le dessein qu'il avait formé de perdre la vie, ou de lui rendre un jour la liberté, et d'aller ensuite chercher, en se montrant au peuple de son royaume, un moyen glorieux de se venger de Danamo, et de placer Irolite sur le trône. Le mérite naissant de Parcin-Parcinet pouvait rendre croyables les projets les plus difficiles, et c'était le seul secours qui s'offrait pour délivrer Irolite. Mana lui permit de venir quelquefois dans le château quand la nuit serait arrivée ; il ne voyait Irolite qu'en sa présence, mais il lui parlait de son amour, et tâchait sans cesse, par ses tendres discours et par ses soins constants, de lui inspirer une ardeur aussi vive que la sienne. Parcin-Parcinet depuis trois ans n'était occupé que de sa tendresse, presque toutes les nuits il allait au château de sa princesse, et tous les jours il ne faisait que penser à elle.
Nous l'avons laissé traversant les jardins de Danamo, suivi d'un esclave, et pénétré de la douleur où le réduisaient les résolutions de la fée. Il arriva au bord de la rivière ; une petite barque dorée, attachée sur le rivage, dans laquelle Azire se promenait quelquefois sur l'eau, servait à passer l'amoureux prince. L'esclave ramait, et dès que Parcin-Parcinet avait monté une échelle de soie qu'on lui jetait d'une petite terrasse, qui régnait' sur toute la face du château, le fidèle esclave ramenait la barque où elle devait être, et ne la rapprochait du château qu'à un signal que lui faisait Parcin-Parcinet : c'était de faire voir pendant quelques moments un flambeau allumé sur la terrasse. Ce soir, le prince fit son chemin ordinaire, on lui jeta l'échelle de soie, et il entra sans obstacle jusqu'à la chambre de la jeune Irolite, il la trouva couchée sur un lit de repos, tout en larmes. Qu'elle lui parut belle dans cet état douloureux ! Ses charmes n'avaient jamais paru si touchants au jeune prince.
« Qu'avez-vous, ma princesse ? lui dit-il en se jetant à genoux devant le lit sur lequel elle était couchée. Qui peut faire couler ces précieuses larmes ? Hélas ! continua-t-il en soupirant, aurai-je encore ici de nouveaux malheurs à apprendre ! » Les larmes et les soupirs de ces jeunes amants se confondirent ensemble, et il fallut qu'ils en laissassent passer le cours avant que de se pouvoir dire la cause de cette vive douleur. Enfin ce jeune prince pria Irolite de lui apprendre quelle nouvelle rigueur la fée avait encore exercée contre elle. « Elle veut vous faire épouser Azire, lui répondit la belle Irolite en rougissant ; quelle de ces cruautés pouvait jamais m'être si douloureuse ? - Ah ! ma chère princesse, s'écria le prince, vous craignez que j'épouse Azire ! Mon sort est mille fois plus doux que je ne l'avais pensé. - Pouvez-vous vous louer de la destinée, reprit languissamment la jeune Irolite, quand elle s'apprête à nous séparer ? Je ne saurais exprimer les peines que cette frayeur me fait sentir. Ah ! Parcin-Parcinet, vous aviez raison, on aime autrement un amant qu'un frère. »
L'amoureux prince pensa remercier la fortune de ses malheurs, jamais le jeune cœur d'Irolite ne lui avait paru connaître l'amour, et enfin il ne pouvait plus douter du bonheur d'avoir inspiré ces tendres sentiments à sa princesse. Cette félicité, qu'il n'attendait pas, releva toutes ses espérances. « Non, s'écria-t-il avec transport, je ne désespère plus de vaincre nos malheurs, puisque je suis assuré de votre tendresse ; fuyons, ma princesse, fuyons les fureurs de Danamo et de son odieuse fille, allons confier à un séjour moins funeste l'ardent amour qui peut seul nous rendre heureux. - Quoi ! je partirais avec vous, reprit avec étonnement la jeune princesse, et que dirait tout ce royaume de ma fuite ? - Oubliez ces vaines considérations, belle Irolite, interrompit l'impatient Parcin-Parcinet, tout nous presse de quitter ces lieux, allons... - Mais où irez-vous ? reprit la prudente Mana, qui avait toujours été présente, et qui, moins préoccupée que ces jeunes amants, prévoyait toutes les difficultés de leur fuite. - J'ai des desseins dont je vais vous rendre compte, lui dit Parcin-Parcinet, mais comment avez-vous si tôt appris ici les nouvelles de la cour de la fée ? - Un de mes parents, reprit Mana, m'a écrit dès que ce bruit a été répandu dans le palais, et j'ai cru en devoir avertir la princesse. - Que j'ai souffert depuis ce moment ! reprit l'aimable Irolite. Non, Parcin-Parcinet, je ne pourrais pas vivre sans vous. » Le jeune prince, transporté d'amour et charmé de ces paroles, porta sur la belle main d'Irolite un baiser ardent et tendre, qui eut toutes les grâces d'une faveur précieuse et d'une première faveur. Le jour qui commença à paraître avertit trop tôt Parcin-Parcinet qu'il était temps de se retirer ; il assura la princesse qu'il reviendrait la nuit suivante pour lui faire part de ses desseins, il retrouva la barque et son fidèle esclave, et se retira dans son appartement. Il était transporté du plaisir d'être aimé de la belle Irolite, et agité par les difficultés qu'il prévoyait bien qui se rencontreraient à sa suite ; le sommeil ne put calmer cette inquiétude, ni lui faire oublier un moment son bonheur.
À peine le matin était-on entré dans son appartement, qu'un nain lui présenta une écharpe magnifique de la part de la princesse Azire, qui par un billet plus tendre que Parcin-Parcinet n'eût désiré, le priait instamment de porter dès ce jour-là cette écharpe. Il fit une réponse qui l'embarrassa fort, mais il fallait délivrer Irolite ; et à quelle contrainte ne se serait-il pas exposé pour lui rendre sa liberté ? Il venait de renvoyer le nain d'Azire, quand un géant vint lui présenter de la part de Danamo un sabre d'une beauté extraordinaire ; la poignée était d'une seule pierre plus brillante qu'un diamant, et qui jetait une lumière si éclatante qu'elle éclairait pendant la nuit' ; sur ce sabre étaient gravées ces paroles
Pour la main d'un vainqueur.
Ce présent plut à Parcin-Parcinet, il alla en remercier la fée, et parut chez elle, paré de ce sabre merveilleux qu'elle lui venait d'envoyer, et de la belle écharpe d'Azire. La tendresse qu'Irolite avait pour lui suspendait toutes ses inquiétudes, elle avait répandu dans son cœur cette joie si douce et si parfaite que fait sentir l'amour heureux ; cet air content paraissait dans toutes ses actions, Azire l'attribuait à ses charmes, et la fée à l'ambition satisfaite de Parcin-Parcinet. La journée se passa en plaisirs qui ne diminuèrent rien de la longueur insupportable dont Parcin-Parcinet la trouva.
Sur le soir on se promena dans les jardins du palais, et sur cette même rivière, que le prince connaissait si bien ; son cœur sentit une vive émotion en entrant dans la petite barque. Quelle différence des plaisirs où elle avait accoutumé de le conduire, à l'ennui mortel qu'il sentait alors ! Parcin-Parcinet ne put s'empêcher de regarder plusieurs fois la demeure de la charmante Irolite ; elle ne parut point sur la terrasse du château, car il y avait un ordre exprès de ne la pas laisser sortir de sa chambre, quand la fée ou Azire se promenait sur l'eau. Cette princesse, qui était attentive à toutes les actions du prince, remarqua que ses regards étaient souvent tournés vers le château. « Que regardez-vous, prince ? lui dit-elle. Au milieu des honneurs qui vous environnent, la prison d'Irolite est-elle digne de votre attention ? - Oui, madame, reprit Parcin-Parcinet assez imprudemment, je suis sensible aux souffrances de ceux qui ne se sont point attiré leurs malheurs. - Vous êtes trop pitoyable, reprit dédaigneusement Azire ; mais pour vous tirer de peine, ajouta-t-elle en baissant sa voix, je vous dirai qu'Irolite ne sera pas longtemps prisonnière. - Et que deviendra-t-elle ? reprit brusquement le jeune prince. - La reine lui fera épouser dans quinze jours le prince Ormond, répliqua Azire ; il est, comme vous le savez, de même sang que nous ; et suivant les intentions de la reine, le lendemain de son mariage il emmènera Irolite dans une de ses forteresses, d'où elle ne reviendra jamais à la cour. - Quoi ! reprit le prince avec une émotion extraordinaire, la reine donnerait cette belle princesse à un prince si effroyable, et dont les mauvaises qualités surpassent encore la laideur ? Quelle cruauté ! » Ce dernier mot lui échappa malgré lui, mais il ne put trahir plus longtemps son courage et son cœur. « Il me semble que ce n'était pas à vous, Parcin-Parcinet, lui répondit fièrement Azire, à vous plaindre des cruautés de Danamo. » Cette conversation aurait sans doute été poussée trop loin pour un jeune prince qui devait feindre, quand par bonheur pour Parcin-Parcinet, des filles de la suite d'Azire se rapprochèrent d'elle ; et un moment après, la fée ayant paru au bord de l'eau, Azire la voulut aller rejoindre ; en sortant de la barque, Parcin-Parcinet feignit de se trouver mal, pour avoir du moins la liberté d'aller se plaindre sans témoins de ses nouvelles infortunes.
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Par Stéphanie le 14 Juillet 2011 à 15:10
Ecrit par La Comtesse de Murat
Pour son Altesse Sérénissime Madame la Princesse Douairière de Conty
Venez, Amours, je chante votre Reine ;
De cet emploi je me fais un bonheur
Vous savez mieux que le dieu d'Hippocrène,
Dans les discours mettre un charme flatteur ;
Charme touchant, et qui va droit au cœur.
Muses n'ont point science si certaine ;
Vous pouvez plus que Fée et qu'Enchanteur.
Venez, Amours, je chante votre Reine.
Que de beautés, et quel air de grandeur !
Esprit divin, grâce toujours nouvelle,
Noble fierté digne d'une immortelle ;
Peut-on la voir et douter un moment,
Que le Destin n'ait réservé pour elle
De tous les biens le plus charmant ?
Cet aimable, ce doux Empire,
Préférable à l'encens, aux suprêmes honneurs,
Et tel que Jupiter lui-même le désire,
C'est de régner dans tous les cœurs.
LE PARFAIT AMOUR, conte
Dans un de ces agréables pays qui sont dépendants de l'empire des fées régnait la redoutable Danamo ; elle était savante dans son art, cruelle dans ses actions, et glorieuse de l'honneur d'être descendue de la célèbre Calypso, dont les charmes eurent la gloire et le pouvoir, en arrêtant le fameux Ulysse, de triompher de la prudence des vainqueurs de Troie. Elle était grande, avait l'air farouche, et sa fierté s'était soumise avec beaucoup de peine aux dures lois de l'hymen ; l'amour n'avait jamais pu parvenir jusqu'à son cœur, mais le dessein d'unir un royaume florissant à celui dont elle était reine, et à un autre qu'elle avait usurpé, lui avait fait épouser un vieux roi de ses voisins.
Il mourut peu d'années après son mariage, et il en demeura à la fée une fille qui fut nommée Azire ; elle était d'une laideur extraordinaire, mais elle ne paraissait point telle aux yeux de Danamo, elle la trouvait charmante, peut-être à cause qu'elle lui ressemblait parfaitement. Elle devait être reine de trois royaumes, cette circonstance adoucit bien des défauts, elle fut demandée par tous les princes les plus puissants des contrées voisines. Cet empressement, joint à l'aveugle amitié de Danamo, acheva de rendre sa vanité insupportable ; elle était désirée avec ardeur, donc elle était digne de l'être.
C'était ainsi que la fée et la princesse raisonnaient entre elles, et jouissaient du plaisir de se tromper ; cependant Danamo ne songeait qu'à rendre le bonheur de la princesse aussi parfait qu'elle l'en trouvait digne ; elle élevait dans son palais un jeune prince, fils de son frère. Il s'appelait Parcin-Parcinet, il avait l'air noble, la taille fine, une grande quantité de cheveux blonds admirables ; l'Amour pouvait être jaloux de sa beauté et même de son pouvoir, car ce dieu n'a jamais eu de flèches aux pointes dorées si sûres de triompher des cœurs sans résistance, que l'étaient les beaux yeux de Parcin-Parcinet. Il faisait bien tout ce qu'il voulait faire, il dansait parfaitement, il chantait de même, et il gagnait tous les prix des tournois, dès qu'il prenait la peine de les disputer. Ce jeune prince faisait les délices de la cour, et Danamo, qui avait ses desseins, ne s'était point opposée aux respects et à l'admiration que l'on avait pour lui.
Le roi, père de Parcin-Parcinet, était frère de la fée ; elle lui déclara la guerre, sans même en chercher de raisons ; ce roi combattit vaillamment à la tête de ses troupes, mais que peut une armée contre le pouvoir d'une fée aussi savante que Danamo ? Elle ne laissa balancer la victoire qu'autant qu'il [le fallait] pour que son malheureux frère pérît en cette occasion ; dès qu'il fut mort, d'un coup de baguette elle dissipa ses ennemis, et se rendit maîtresse du royaume. Parcin-Parcinet était encore au berceau, on l'apporta à Danamo ; on aurait entrepris en vain de le cacher à une fée ; il avait déjà ces grâces séduisantes qui gagnent les cœurs ; Danamo le caressa, et peu de jours après elle l'emmena avec elle dans son royaume.
Ce prince avait dix-huit ans quand la fée, voulant enfin exécuter ses desseins formés depuis tant d'années, résolut d'unir Parcin-Parcinet à la princesse sa fille. Elle ne douta pas un moment de la joie infinie qu'aurait ce jeune prince, né ambitieux, destiné par ses malheurs à vivre sujet, de devenir en un jour souverain de trois empires ; elle envoya quérir la princesse, et lui découvrit enfin le choix qu'elle avait fait pour elle.
La princesse écouta ce discours avec une émotion qui fit juger à la fée que cette résolution en faveur de Parcin-Parcinet déplaisait à sa fille. « Je vois bien, lui dit-elle en remarquant que son trouble augmentait encore, que tu voulais porter ton ambition plus loin, et joindre à ton empire celui d'un de ces rois qui t'ont tant de fois demandée. Mais de quels rois Parcin-Parcinet ne peut-il pas être vainqueur ? Son courage est au-dessus de tous ; les sujets d'un prince si parfait pourraient bien un jour en sa faveur devenir rebelles. En te donnant à luit, je t'assure la possession de son royaume. Pour sa personne, il est inutile d'en parler, tu sais que les plus fières beautés n'ont pu résister à ses charmes. »
La princesse, se jetant tout d'un coup aux pieds de la fée, interrompit son discours, et lui avoua que son cœur n'avait pu résister à ce jeune vainqueur, fameux par tant de conquêtes ; « mais, ajouta-t-elle en rougissant, j'ai donné mille marques de ma tendresse à l'insensible Parcin-Parcinet, il les a reçues avec une froideur qui me désespère. - C'est qu'il n'osait élever ses pensées jusqu'à toi, reprit l'orgueilleuse fée, il a sans doute craint de me déplaire, et je lui sais bon gré de son respect. »
Cette opinion flatteuse était trop convenable à l'inclination et à la vanité de la princesse pour ne s'en pas laisser persuader. Enfin la fée envoya quérir Parcin-Parcinet, il vint la trouver dans un cabinet magnifique où elle l'attendait avec la princesse sa fille. « Appelle tout ton courage à ton secours, lui dit-elle dès qu'il parut ; ce n'est pas pour soutenir des malheurs, mais c'est pour ne pas succomber sous ta bonne fortune : tu vas régner, Parcin-Parcinet, et pour comble de bonheur, tu vas régner en épousant ma fille. - Moi, madame ! s'écria le jeune prince avec un étonnement où il était aisé de remarquer que la joie n'avait point de part, moi je vais épouser la princesse ? continua-t-il en reculant quelques pas. Hé ! quel dieu vient se mêler de ma destinée ? Que n'en laisse-t-il le soin au seul à qui je demandais du secours ? »
Ces paroles furent prononcées par le prince avec un emportement où son cœur prenait trop de part pour pouvoir être d'abord arrêté par sa raison. La fée crut que le bonheur inespéré de Parcin-Parcinet le mettait hors de lui-même, mais la princesse l'aimait, et l'amour rend quelquefois les amants plus pénétrants que l'esprit même. « De quel dieu, Parcin-Parcinet, lui dit-elle avec émotion, implorez-vous si tendrement le secours ? Je connais trop bien que je n'ai point de part aux vœux que vous lui faites. » Le jeune prince, qui avait eu le temps de se remettre de son premier étonnement, et qui avait compris l'imprudence de ce qu'il venait de faire, appela son esprit au secours de son cœur. Il répondit plus galamment à la princesse qu'elle n'avait espéré, et remercia la fée avec un air de grandeur, qui marquait assez qu'il était non seulement digne des empires qui lui étaient offerts, mais de celui de tout le monde.
Danamo et son orgueilleuse fille furent satisfaites de ses discours, elles réglèrent toutes choses avant que de sortir du cabinet, et la fée ne différa le jour des noces de quelque temps que pour donner le loisir à toute sa cour de se préparer à cette grande fête. En sortant du cabinet de la reine, la nouvelle du mariage de Parcin-Parcinet avec Azire fut répandue en un moment dans tout le palais ; on vint en foule s'en réjouir avec le prince. Quelque peu aimable que fût la princesse, c'était une belle fortune que celle où elle allait le faire monter.
Parcin-Parcinet recevait tous ces honneurs avec un air froid qui surprenait d'autant plus ses nouveaux sujets qu'il paraissait mêlé d'un chagrin et d'une inquiétude extrêmes ; il fallut le reste de la journée qu'il reçût les empressements de toute la cour, et qu'il soutînt les témoignages d'amour que lui donnait sans cesse Azire. Quelle situation pour un jeune prince occupé d'une vive douleur ! La nuit lui parut avoir retardé son retour mille fois plus longtemps qu'à l'ordinaire. L'impatient Parcin-Parcinet la pressait par ses souhaits ; elle vint enfin, il sortit avec précipitation de ce lieu où il avait tant souffert, il rentra dans son appartement, et après avoir écarté tout le monde, il ouvrit une porte qui donnait dans les jardins du palais ; il les traversa, suivi seulement d'un jeune esclave.
Une belle rivière, mais de peu d'étendue, passait au bout de ces jardins, et séparait du magnifique palais de la fée un petit château flanqué de quatre tours, et entouré d'un fossé assez profond que remplissait cette même rivière ; c'était dans ce lieu fatal que volaient sans cesse les vœux et les désirs de Parcin-Parcinet. Quelle merveille y était renfermée ! Danamo y faisait garder soigneusement ce trésor c'était une jeune princesse, fille de sa soeur. Elle l'avait confiée en mourant aux soins de la fée ; sa beauté, digne de l'admiration de tout le monde, parut trop dangereuse à Danamo, pour laisser voir Azire auprès d'elle. Quelquefois on permettait à la charmante Irolite, c'est ainsi qu'elle se nommait, de venir au palais voir la fée et la princesse sa fille, mais jamais on ne l'avait laissée paraître en public ; ses charmes naissants étaient inconnus, mais non pas ignorés de tout le monde. Ils avaient paru chez la princesse Azire aux yeux de Parcin-Parcinet, et il l'adora dès qu'il l'eut vue. La proximité du sang ne donnait aucun privilège à ce jeune prince auprès d'Irolite ; depuis que la jeune princesse n'était plus un enfant, l'impitoyable Danamo ne peilliettait de la voir à personne.
Cependant Parcin-Parcinet brûlait d'un feu aussi ardent que le devaient allumer les charmes d'Irolite ; elle avait quatorze ans, sa beauté était parfaite, ses cheveux étaient d'une couleur charmante, sans être tout à fait noirs ni blonds ; son teint avait tout à fait la fraîcheur du printemps, sa bouche était belle, ses dents admirables, son sourire gracieux ; elle avait de grands yeux bruns, vifs et touchants, et ses regards paraissaient dire mille choses, que son jeune cœur ignorait.
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